20 Juil 23

L’heure du bilan

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Nous voici arrivés à la dernière chronique de la saison, avant de nous retrouver à la fin août. Et en faisant un petit retour en arrière sur les 41 précédents épisodes de cette saison, on remarque que les événements de l’année 2022-2023 nous ont lentement amenés à la situation dans laquelle nous sommes au milieu de cet été 2023.

Hollywood Burns

J’ai commencé la saison en relatant les mésaventures du film de Adil El Arbi et Billal Fallah, Batgirl, sacrifié sur l’autel de la réorganisation de l’Univers DC. Et on l’a terminé, la semaine dernière, avec les difficultés que rencontrent les grandes licences au Box Office américain, susceptibles de modifier profondément le business model des grands studios hollywoodiens.

Dans le même temps, l’arrivée de la hype, largement exagérée, autour de l’Intelligence Artificielle a commencé à provoquer des inquiétudes bien plus réelles auprès des travailleurs de l’audiovisuel. Au premier rang desquels les scénaristes et les acteurs, aujourd’hui partis en grève conjointe, une première depuis 60 ans.

Enfin, l’autre hype du moment, celle de l’explosion des plateformes de streaming, est elle aussi en train de vivre son premier retour de bâton. Disney + commence déjà à perdre des abonnés. Et la concurrence féroce a conduit à une pression accrue sur les prix, et maintenant sur les dépenses de production.

Où tout cela peut-il mener l’économie de l’industrie hollywoodienne ? Dans l’état actuel des choses, et compte tenu des faits que je viens d’évoquer, la solution semble être dans une baisse de régime en termes de quantité.

Flopbusters et grève historique

A y regarder de plus près, les films qu’on a appelés en cet été 2023 les flopbusters ont fait des scores plus qu’honorables. Si ils risquent de ne pas être rentables, c’est d’abord parce qu’ils coûtent trop cher à produire.

On l’a vu, il n’existe, en soi, pas de films trop chers … Mais à Hollywood, ils doivent tout de même arriver à couvrir leurs frais de production avec leurs recettes. Aujourd’hui, on découvre que les dépenses de production sont trop centrées sur une poignée d’intervenants. Les producteurs en premier lieu, directement suivis par les acteurs. Ces films à ensemble cast surpayés ne sont probablement plus tenables. Un film comme Fast & Furious X, avec certes ses cascades improbables, mais surtout sa dizaine d’acteurs bankable, arrivent à des devis qui ne correspondent plus à aucune réalité commerciale.

De même, l’explosion de contenus, surtout sur les plateformes, est en train de toucher les limites du public atteignable. La fragmentation des publics ne cesse de grandir et les spectateurs, noyés dans le choix, finissent paralysés et se rabattent plus facilement sur le choix de facilité : ne pas sauter sur la dernière nouveauté. Si bien qu’aujourd’hui, on approche lentement d’une situation similaire à l’industrie de la musique, où c’est le fond de catalogue, plus que les nouveautés, qui tire les recettes.

Le front social plaide aussi pour un retour au calme. Les scénaristes se retrouvent précarisés par la réduction de la durée des saisons de série. Et seules quelques stars émergent encore.

De même pour les acteurs. On a vu la difficulté qu’a Hollywood à faire émerger de nouvelle stars. C’est aujourd’hui toute une génération d’acteurs et d’actrices qui se trouvent relégués dans l’ombre, où leur travail risque en plus d’être transformé en gig economy, comme on le verra un peu plus loin.

Tout cela plaide pour un renouvellement de la structure industrielle, et de l’offre éditoriale, d’Hollywood. Il est d’ailleurs ironique que l’homme qui a été l’un des principaux initiateurs de la révolution du début des années 2000, Bob Iger, soit rappelé à la tête de Disney, clairement pour remettre de l’ordre dans la situation qu’il a lui-même partiellement créée.

La menace artificielle

Revenons-en à l’IA, qui aura été le sujet de cette première moitié de 2023. Pour le cinéma, en tout cas le cinéma américain, la question a maintenant atteint son point focal, dont on parlait aussi ici il y a quelques mois, à savoir la propriété.

Dans les revendications des grévistes hollywoodiens, que ce soient les scénaristes ou les acteurs, les revendications autour de l’IA sont claires. Il faut un cadre législatif précis sur la propriété de ce que permettent les avancées technologiques récentes. Les scénaristes ont peur de voir leurs writing rooms encore réduites par l’adjonction d’une “aide” par Intelligence Artificielle. Et la question de savoir à qui appartient l’idée issue du travail avec une IA est centrale.

Du côté des acteurs, et plus précisément de l’armée d’extras, bruissent désormais les rumeurs que les studios veulent acheter le scan des visages pour pouvoir ensuite les placer comme bon leur semble en post-production - et sans rétribution complémentaire - dans leurs films et séries.

Sans doute cette hype de l’Intelligence Artificielle retombera, comme toute avancée technologique ces dernières années. Mais sa simple existence et ce qu’elle permet impose le débat social qui n’a pas eu lieu lors de la plateformisation de l’économie au début des années 2010.

En Europe, ça parle gâteau

Ces inquiétudes trouvent un écho, peut-être plus feutré, et surtout moins pointu, chez nous. On se souvient par exemple de la sortie de Justine Triet à Cannes, sur le mode “exception culturelle”. Ici, plus que les revendications sociales, c’est la question du partage du gâteau qui reste d’actualité. Combien et surtout comment, les streamers vont contribuer à l’investissement dans la production locale. Tous les pays d’Europe négocient leur petit pourcentage.

C’est que, dans nos contrées, c’est un tout autre phénomène qui marque ces derniers mois, voire années. Ce phénomène, c’est celui de l’accroissement sans cesse plus grand entre culture populaire et “vraie” culture. Cela se voit dans le discours critique avec l’acmé qu’a été l’élection de Jeanne Dielman au rang de plus grand film de tous les temps. Mais aussi dans la haine, irrationnelle, envers l’Asterix de Guillaume Canet.

Ou encore dans cet écart sans cesse croissant, en France mais aussi ailleurs en Europe (l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne) entre un cinéma pour les grandes villes et un cinéma pour provinciaux. Sur ce créneau, on est passé carrément du dédain à l’ignorance. Les critiques “découvrent” des films qui deviennent des succès hors les murs des capitales, tandis que les distributeurs renoncent carrément à montrer leurs films à la presse installée ou aux exploitants des grandes villes.

Les deux Belgiques

Dans notre petit pays, comme souvent, cette dichotomie se dessine plutôt autour de la frontière linguistique. On a d’un côté un cinéma flamand insolent de succès, autant critiques que populaires (mais jamais en même temps), d’une diversité saisissante pour un si petit marché. De l’autre une francophonie qui cherche désespérément à se sortir de sa double image de cinéma social et d’absurdisme “à la belge”. Et qui reste, surtout, financièrement et culturellement tournée vers, si pas dépendante de, la France.

Les efforts pour une réelle industrialisation locale de la filière audiovisuelle existent, autant chez les pouvoirs publics (au Centre du Cinéma, et aux fonds Wallimage et Screen Brussels) que chez les diffuseurs comme RTBF et RTL. Mais cela demandera sans doute des années mais surtout un réel changement d’imaginaire autour des cultures “populaires” de la part de la profession elle-même.

Peut-être que les premiers soubresauts de ces changement dans notre paysage médiatique apparaîtront à la saison prochaine. La première où l’opérateur privé RTL sera pleinement intégré à la production locale. La première, on l’espère, où les films de comédie et de genre que les acteurs institutionnels appellent de leurs voeux commenceront à être développés

Nous verrons comment tout cela évolue dès l’année prochaine.



Une dernière chose, plus personnelle avant de terminer cette saison. La fin de saison est aussi l’occasion de regarder du côté des chiffres.

A l’issue de cette seconde saison, ces chroniques, sous leur forme podcast ou blog, commence à réunir un public significatif de plusieurs centaines de visiteurs. Qui plus est, votre temps d’engagement, en écoute et en lecture, tourne autour des 80%. Voire des 100% quand j’aborde un sujet plus polémique, bande de petits coquins.

Je tenais donc à vous remercier pour toute cette attention, sur un sujet aussi microscopique, et dans un pays aussi petit que le nôtre. Ces chroniques sont à ce jour encore suivies dans une très grande majorité par des belges et c’est bien le but.

Au-delà de ces remerciements, j’aimerais encore vous demander 2 choses. L’une c’est d’aider à faire connaître un peu plus le podcast en vous abonnant et en le cotant sur votre app de prédilection . L’autre, c’est de me faire part de vos commentaires et de vos suggestions de sujets et de formats pour les épisodes futurs. Cette trêve estivale sera aussi pour moi l’occasion de réfléchir à l’évolution à donner à ces chroniques et votre avis est évidemment important. N’hésitez donc pas à m’envoyer un mail via le formulaire ci-dessous.


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