01 Juin 23

Où sont passées les jeunes stars?

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A l’issue du récent festival de Cannes, la journaliste de The Guardian Wendy Ide, publiait un article partant d’un constat que tout le monde se fait depuis quelques années. Toutes les grandes stars hollywoodiennes qui foulaient le tapis rouge ont dans leur grande majorité dépassé la soixantaine. Seules exceptions : Johnny Depp, 59 ans, et le jeunot Leonardo di Caprio, 48 ans quand même.

Et elle pose donc cette question : où est passée la nouvelle génération de stars ?

Pénurie de jeunes stars

Bien sûr, on pourra toujours trouver l’un ou l’autre nom, suivant vos inclinations cinématographiques : Timothée Chalamet, Margot Robbie, je vous laisse trouver d’autres noms.

Et bien sûr aussi, la sélection officielle de Cannes n’a jamais été un haut lieu de nouveauté. Un de nos critiques nationaux pointait aussi l’âge moyen assez canonique des candidats et candidates à la Palme d’Or.

Il reste néanmoins un fait : la raréfaction radicale de nouveaux entrants dans le star system.

Dans son style, disons, moins diplomatique, le magazine Variety faisait d’ailleurs le même constat, en plein festival de Cannes. En gros, seuls les vieux schnocks sont encore vendeurs. Le seul à être sauvé de la débandade suivant leur article: Robert Pattinson.

Mais revenons à l’analyse, très pertinente au demeurant, de Ide, qui pointe une série de facteurs au phénomène.

Les cause de la chute de biodiversité staresque

Internes tout d’abord. L’aversion au risque de Hollywood, depuis qu’elle est dirigée par des gestionnaires plutôt que des profils plus artistiques. Avec la ribambelle d’IP et autres Cinematic Universes, qui noient les comédiens dans des ensemble casts informes (je crois que tous ces termes sont sous copyright).

Mais aussi son incapacité à gérer l’image de ses stars comme elle savait le faire avant l’arrivée des réseaux sociaux. Et de citer quelques exemples d’explosions en vol, comme Shia La Bœuf.

Ce deuxième facteur me semble le plus porteur. Si ce n’est qu’il doit être pris dans les deux sens de l’équation.

Je m’explique.

Si l’on essaie de retracer l’apparition des dernières stars, elle sont en fait issues d’une autre époque. Les dernières à avoir atteint ce statut sont me semble-t-il des gens comme Scarlett Johansson ou Ryan Gosling. Tous deux issus de l’écurie du Disney Channel. Du temps de la télévision. Et du DVD, comme le pointait Variety. En tout cas d’un temps où le succès était chiffrable de bout en bout. Même chose, en fait, du côté français avec des Jean Dujardin ou Virginie Efira.

Depuis, plus grand-chose. La dernière personnalité à être issue de la famille Disney est Selena Gomez. Qui n’est à ce jour pas devenue une star de cinéma.

“C’est la faute aux réseaux sociaux”

Alors, en effet, ce qui a changé les choses, c’est l’arrivée des réseaux sociaux, et le changement des rapports que les personnalités entretiennent avec leur audience.

Mais si Ide souligne justement les catastrophes médiatiques qui ont émaillé les 15 dernières années, elle ne dit rien de celles et ceux qui ont réussi à gérer leur image. C’est peut-être là que se trouve le gros des non-stars hollywoodiennes du moment. Des stars qui considèrent leur image comme leur capital propre, et dont le cinéma n’est qu’une des activités.

Pour illustrer mon propos, je vais prendre un exemple : Ryan Reynolds. Bien qu’il ait derrière lui quelques sérieux blockbusters, il n’est pas à proprement parler une star comme l’est son collègue générationnel Ryan Gosling. Sa carrière cinématographique démarre vers 2005, pour arriver dans le rang des blockbusters au tournant des années 2010. Il enchaîne avec quelques comédies d’action bien balancées, prête sa voix à quelques films d’animation à succès jusqu’au jackpot Deadpool. Jusqu’à aujourd’hui, où il est moqué par Quentin Tarantino pour son enquillage de films à gros salaire pour Netflix, que personne ne voit, selon lui.

C’est que Reynolds s’est très rapidement diversifié. Avec l’argent de ses succès cinématographiques, il achète une marque de Gin, Aviation Gin, qu’il booste avec son image avant de la revendre 160 millions de dollars 2 ans plus tard. Il refait le coup avec un petit opérateur mobile, Mint Mobile. Il apparaît dans toutes les pubs et a fait entrer, il y a 2 mois, T Mobile dans l’actionnariat, pour 1,35 milliard de dollars.

L’avènement des entrepreneurs de soi-même

Bref, Reynolds se sert de sa célébrité pour augmenter la valeur de sociétés et en tirer des bénéfices. D’où ses productions régulières pour Netflix, qui ont aussi pour but de permettre à son image de garder sa valeur.

Reynolds est un cas extrême, bien sûr. Mais il est la figure de ce qu’on appelle les entrepreneurs de soi-même.

Pour ce genre de partie prenante, le cinéma n’est plus un rêve de gloire. C’est un capital à investir ailleurs. Ces acteurs (on pourrait aussi citer Gwyneth Paltrow et son célèbre site new-age Goop) ont totalement intégré les valeurs de la creator economy tant en vogue aux Etats-Unis.

Pour le dire avec les mots de nos contrées : cette nouvelle génération d’acteurs se voient comme des influenceurs sous stéroïdes. Ils ne sont pas les seuls à agir de la sorte. Ils ont en fait emboîté le pas aux rappeurs et chanteuses de R’n’B. Les Snoop Dogg, les Dr. Dre, les Beyoncé ou dans un autre genre musical Taylor Swift. Ou encore, bien sûr, l’étalon du système : Oprah Winfrey.

L’évolution d’un rapport de force

Est-ce qu’il ne faut y voir que l’ultime avatar de l’individualisme marchand ?

Pas seulement, parce que c’est aussi l’aboutissement d’un rééquilibrage du rapport de force entre acteurs et studios qui a des racines plus profondes. Les acteurs de la génération précédente, Brad Pitt, Leonardo di Caprio, Georges Clooney et bien sûr Tom Cruise ont tous, une fois la célébrité acquise, fondé leur propre studio de production. Manière de développer leurs propres projets, mais aussi de prendre part financièrement au succès des films, ce que très peu arrivent à faire en négociant leur intéressement d’acteur avec les studios. Je vous renvoie à ma chronique sur la comptabilité hollywoodienne pour comprendre les rouages de ce genre de négociations.

Et donc, en diversifiant leurs revenus, en capitalisant sur leur image comme une ressource qui leur appartient en propre, ils tentent également de peser autrement sur la négociation avec les studios.

A force d’être traités comme des machines à cash, tous ces acteurs et actrices ont fini par les prendre au mot. Ils et elles cherchent juste une position plus autonome, où ils ne sont plus dépendants des studios pour se fabriquer une carrière, mais négocient leur audience auprès d’eux. Comme tous les autres business qu’ils gèrent.

Alors, oui, sans doute, nous assistons à la fin du bon vieux star system, de la clique des Expendables pour reprendre la série ironique produite par Sylvester Stallone (encore un acteur-producteur). Ce qui ne veut pas dire que l’acteur bankable va disparaître. Cet aspect bankable va juste de plus en plus venir d’ailleurs que du cinéma.


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