Ce mercredi 1er février 2023 sort sur les écrans français et belges une nouvelle itération de la licence Astérix et Obélix. Il s’agit d’un film “live”, après deux films d’animations, signés Alexandre Astier.
Le film souffre depuis plusieurs mois déjà d’un bad buzz assez sévère qui me permet de parler d’un pan de l’univers cinématographique que je n’ai fait qu’aborder à la marge : la cinéphilie.
Asterix et l’Empire du Bad Buzz
Avant tout, un petit peu de contexte sur cette polémique. Elle a démarré avec cette désormais célèbre couverture du Film Français où l’on voyait, entourant le patron de Pathé Jérôme Seydoux, un aéropage d’hommes, presque tous dans leur quarantaine voire plus, presque tous impliqués dans cet Asterix, sous le titre “Objectif Reconquête”. Une une pas seulement maladroite mais, osons-le, pleinement stupide. Qui n’est cependant pas le fait des personnes représentées, mais bien de l’organe de presse.
Cette une a provoqué, à raison, un tollé. Mais ce tollé a directement rejailli sur le reste de la promotion du film de Canet. Chaque teaser, chaque bande-annonce, chaque image était accueillie par le dédain et les quolibets.
Jusqu’à une fatidique interview, la semaine dernière, de Guillaume Canet et du footballeur Zlatan Ibrahimovic, qui joue dans le film, sur France Inter. Au cours de cette interview, Canet a eu cette phrase malheureuse : “ Si les gens ne vont pas voir un film comme celui-là, plus aucun investisseur ne mettra son argent dans le cinéma.”
Cette petite phrase a soulevé une vague d’indignation dans le petit milieu cinéphile. Quelle arrogance ! Une injonction à aller voir son film si on veut sauver le cinéma ? Et puis quoi encore ? Canet croit-il qu’à lui seul, il va sauver tout le cinéma ?
Pris dans le piège de la retape
Remettons d’abord, ici aussi, les choses à leur place. Quoi qu’on pense de Guillaume Canet (et je n’en pense moi-même pas grand-chose, avouons-le), voilà un homme qui a porté la responsabilité d’un chantier de 60 millions d’euros, qui vient à peine de terminer la post-production de son film, un mois plus tôt et enchaîne immédiatement avec une énorme tournée de promo.
Un homme qui a peur, comme il l’avoue en début d’interview. Un homme sans doute épuisé. Qui se retrouve là devant un dispositif d’interview de service avec des questions au mieux inoffensives, au pire d’une platitude crasse. C’est dans cette deuxième catégorie qu’appartenait la question qui a conduit à la phrase incriminée. Il s’agit typiquement d’une phrase qu’on dit pour meubler une interview.
Alors oui, l’assertion est idiote. Aucun film, quelque soit son budget, ne peut couler une industrie tout entière. La précédent Asterix “live”, par exemple, a coûté encore plus cher que cela, 65 millions d’euros, et a été un flop retentissant. Même le Valérian de Luc Besson, avec ses 200 millions de budget, n’a pas fait fuir les financiers. La raison est toujours la même : le cinéma est une industrie du prototype. Si on possédait la recette infaillible du succès cinématographique, on ne s’encombrerait en fait même pas de financiers, qui viennent prendre leur part. De plus, les financements du cinéma sont pour ainsi dire sécurisés, avec les obligations de financements et autres systèmes de remises d’impôts.
La sclérose de la cinéphilie
Ce n’est évidemment pas là que je veux en venir dans cette chronique. Ce qui m’intéresse plutôt, c’est cette sorte de sclérose qui saisit la cinéphilie depuis plusieurs années.
Il faut évidemment s’entendre sur le mot cinéphilie. Un cinéphile est certes une personne qui aime le cinéma, mais je restreins ici volontairement le terme à ceux et celles qui partagent cet amour. Celles et ceux qui en parlent sans que cela soit leur profession principale. Il s’agit donc de cette minorité active qui, depuis plus d’un siècle, a formé la culture du cinéma.
Cette culture a bien sûr une histoire, celle des ciné-clubs, des revues, des recensements de DVD et le comparatif de ses éditions, jusqu’aux réseaux sociaux. Dernière phase qui commence elle-même à avoir sa propre histoire. Histoire qui arrive aujourd’hui, il me semble, à un point critique.
La malédiction de la cinéphilie sur le net
Le monde de la cinéphilie sur internet a investi principalement deux réseaux : Youtube et Twitter. Deux réseaux qui donnent certes plus d’espace au discours et à la promotion de liens. Mais aussi deux réseaux où la personnalisation est la plus importante. Deux réseaux, enfin, qui fonctionnent très bien l’un avec l’autre. Twitter est le lieu où la polémique enfle, donnant ainsi des idées de contenus Youtube, qui seront repartagés sur Twitter pour nourrir le débat.
A ce titre, le cas Astérix est presque un cas d’école. Un ressassement sans fin de démonstrations que ce film s’annonce, sera, est mauvais. Mais il n’est pas le seul dans ce cas. La prolifération d’avis sur le film, très anecdotique bien que très droitier, “Vaincre ou Mourir” est de la même veine : le goût du clash, de l’avis de plus mauvaise foi possible. Même le Babylon de Damien Chazelle a fini par être un sujet de débat stérile autour de l’utilisation du terme “déclaration d’amour au cinéma”.
Ce que je veux dire par là, c’est que la cinéphilie passe aujourd’hui plus de temps à partager ses dégoûts que ses goûts de cinéma.
Où sont les coupables ? Bien sûr, on peut reprocher à la presse “installée”, les Libé, Inrocks, Figaro et autres de s’être engouffrés les premiers dans l’indignation putaclic et la division à relents politiques.
Mais le coeur du problème vient plutôt des plateformes elles-mêmes et a des reflets plus économiques.
Un problème de business model
Je l’ai signalé plus haut, les deux plateformes de prédilection de cette frange active de la cinéphilie, Twitter et Youtube, sont celles qui s’accommodent le mieux de ce qu’on a appelé à une époque le “Personnal Branding” et se base sur un business model somme toute assez simple : le compte Twitter est l’outil de promotion du compte Youtube, où le but est de générer le plus rapidement possible les 1000 abonnés et les 4000 heures de visionnage par an, qui ouvre la voie au programme partenaire de Youtube, et donc à un pourcentage des recettes publicitaires. Avec, comme alternative, pour les plus populaires, le sponsoring, la vente de produits dérivés comme les livres, etc.
La recette, pour y arriver, est malheureusement éprouvée, publier beaucoup, et foncer sur les sujets qui trouvent le plus d’engagement : les sujets clivants.
Ce qui se cache derrière cette cinéphilie sur le net, c’est une sorte de gig-economy pernicieuse. Où chacun se rêve critique de cinéma mais sur les bases de l’auto-entreprenariat. Ce qui, soit dit en passant, ne les distingue pas très fort, socialement, des “véritables” critiques de cinéma, souvent indépendants précaires. Chacun dans son coin, à créer ses propres chaînes, à ressasser les mêmes sujets, à brasser des affects tristes, ou des anecdotes sans substance.
C’est un peu le sujet de ce podcast : la promotion, le marketing, mais aussi le discours cinéphilique sont aujourd’hui les réels maillons faibles de l’industrie du cinéma. Et, comme c’est souvent le cas, le fond de la question est de retrouver un business model autour des pratiques cinéphiliques. Une chose est sûre, ce nouveau business model ne se trouve pas du côté de l’auto-entreprise, qui est une arnaque qui ne sert que quelques chanceux et laisse sur le carreau tous les autres.
Retour aux fanzines
Il est bien plus dans une réactivation, une modernisation du fanzinat. La création de contenus ciblés vers un public en particulier, qui cherche à l’instruire, le servir, le conseiller. Cela demande un peu plus de travail que de poster des vidéos polémiques. Il faut une ligne éditoriale, une vraie équipe, des débats. Réapprendre à travailler en commun. Penser à des réelles sources de revenus, autre que la seule publicité s’entend.
Toutes choses qui ne sont pas du rêve. Ce genre de structures existent encore. On pourrait citer Capture Mag en France, qui vient de fêter ses dix ans d’existence. Il y a aussi l’essai Surimpressions, même si le magazine semble encore chercher son modèle financier.
La cinéphilie est dans une mauvaise passe. C’est autant d’opportunités pour trouver de nouvelles voies d’action. Mais celles-ci ne seront que collectives.
A la semaine prochaine
PS : je ne voudrais pas laisser l’impression que Youtube n’est qu’un repère de médiocrité. Il existe d’excellentes chaînes d’analyses, de ciné-tracts comme Bolchegeek, ou CinemaTyler et bien d’autres comme le désormais célébrissime Fossoyeur de Films. Mais ces exemples éclatants travaillent sur le temps long, ce qui laisse toute la latitude aux travers que je décris ici. Sans parler qu’eux aussi peuvent se retrouver pris dans les rêts de la polémique stérile sur Twitter.