29 Mar 23

RTL rentre à la maison

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C’est officiel : RTL Belgique redevient réellement belge. Le groupe vient en effet d’arriver à un accord avec la Ministre de la Culture de la Fédération Wallonie Bruxelles qui met fin à près de 20 ans d’une aberration. Les seules chaînes télé et radios privées de la partie francophone de notre pays étaient légalement luxembourgeoises.

Cette officialisation n’a évidemment rien d’un scoop. Plus rien ne justifiait la présence du siège social de RTL au Luxembourg.

Il y a tout d’abord eu la revente par les allemands de Bertelsmann de leur filiale belgo-luxembourgeoise au consortium belgo-belge DPG Media-Rossel. 

Ensuite, la mise en application, dans toute l’Europe, de la directive SMA qui implique que tous les médias, même étrangers, qui opèrent sur un territoire donné, doivent investir un pourcentage de leurs recettes dans la production du territoire concerné.

Enfin, l’ouverture du Fonds des Séries de la Fédération Wallonie Bruxelles à tous les opérateurs, pour peu que leur siège social soit en Belgique.

En clair, RTL avait maintenant toutes les obligations d’investissement d’un opérateur national, sans ses avantages. Face à cela, l’avantage compétitif de la fiscalité luxembourgeoise et la perspective d’échapper au CSA belge n’avaient plus grand poids.

Un retour négocié

Cela n’a cependant pas empêché le groupe de négocier son retour au bercail. Plus particulièrement sur un point : la comptabilisation de 30% de programmes de flux dans ses obligations d’investissement local.

Rappelons-le, les productions audiovisuelles de flux, par opposition aux productions de stock, sont les productions “périssables” si l’on veut. Qui ne se regardent qu’une fois, et qui sont fortement liées à la temporalité. On ne regardera plus forcément une vieille saison de l’Amour est dans le Pré, ou une rediff d’un jeu comme Septante et Un.

C’est que le groupe est, malgré tout, dans une situation délicate. Le plus gros de son audience vient de programmes de flux qui, jusqu’à ce jour, ne lui appartiennent pas. Son adossement au groupe Bertelsmann lui donnait un accès privilégié aux programmes de M6 : Top Chef, Le Meilleur Pâtissier, Cauchemar en Cuisine, Cherche Appartement ou Maison, Les Reines du Shopping, etc. Dans un avenir relativement proche, cet accès devra être renégocié.

D’où l’importance pour RTL de développer ses propres concepts. Ainsi, depuis la rentrée, des propriétés intellectuelles maison ont vu le jour : des concours de plus beau chien, de meilleure friterie de Belgique et d’autres encore. Des projets de séries courtes, de docu-fiction et de séries classiques sont aussi en chantier. Il se murmure même qu’un projet de fiction quotidienne est en gestation, pour lequel RTL aurait embauché d’anciens scénaristes de Plus Belle La Vie.

Mais d’autres défis font face à la chaîne privée.

Glocal et Catch-up

On le sait, RTL a pris très tard conscience de l’importance d’une présence en ligne. Je l’ai déjà mentionné, la consommation télévisuelle est restée peu ou prou constante, mais s’est largement décalée d’une consommation linéaire à la catch-up TV. Certes, RTL Play est lentement en train de redonner une place en ligne aux chaînes du groupe. Mais les besoins de promotion du service, de proposition de contenus exclusifs, autant de catalogue que de flux, sont criants. 

Ouvrir RTL Play aujourd’hui, c’est se retrouver face à un catalogue de M6, quelques émissions de flux et une paire de blockbusters à rattraper. Il manque furieusement de contenus originaux. Là où la RTBF propose séries maison, podcasts, concepts originaux et des partenariats avec d’autres producteurs de contenus.

On peut aussi se poser la question de l’obsession de la proximité des chaînes du groupe. Autant Guillaume Collard, le nouveau CEO, que les responsables des groupes Rossel et DPG n’ont que ce mot à la bouche : pro-xi-mi-té. Faire du local, parfois de l’hyper-local. Avec le risque de ne toucher que ce micro-marché, à l’heure où le glocal est de mise. Car si les investissements de RTL sont appelés à être à la hausse, le marché adressable devra lui aussi augmenter. Il faudra vendre ses fictions et ses concepts à l’étranger. Ce qui ne risque pas d’être le cas avec Docteur Cath, François Pirette ou Opération Pairi Daiza, avec tout le respect qu’on leur doit. Et une fois les drames nationaux comme le Heyzel, le Bois du Cazier, Outreau ou l’Affaire Dutroux rincés et lessivés, après le cinquantième caméo de François Damiens ou de Benoît Poelvoorde, il faudra encore créer du contenu, des personnalités, des talents.

Stratégie à risques

Adossé à un grand groupe, qui serait par ailleurs pourvoyeur de contenus internationaux, le pari de la proximité est une stratégie viable. Mais quand on est un petit poucet issu d’un petit pays, produire pour un public exclusivement local et acheter le reste est un pari risqué.

D’autant que, comme son nom l’indique, la production de stock reste en stock. Elle a une durée de vie bien plus longue et génère donc des revenus sur le long terme. Non pas que le flux ne puisse lui aussi générer des revenus à long terme, via la vente de ses propriétés intellectuelles. Mais le marché y est nettement plus compétitif.

Le retour à la fiction

Et donc, la fiction. En allant taper elle aussi dans la manne du Fonds des Séries, RTL rouvre le secteur à la concurrence. La RTBF n’est plus le seul “guichet” pour la production de séries en Belgique Francophone. Le goulet d’étranglement se desserre. Reste à savoir si le processus créatif, relativement long, développé à la RTBF, sera aussi de mise chez RTL. Si la structure de financement sera différente. Et dans quelle mesure la maison de l’Avenue Georgin, il faut le dire plutôt conservatrice dans ses contenus, sera prête à prendre des risques.

Quoi qu’il en soit, en termes d’industrie, ce retour au pays de notre chaîne commerciale ne peut être qu’une bonne chose. Elle ouvre le jeu et la porte à des structures de production qui n’ont pas peur de faire de la création populaire. Or, on a vu que dans la structuration actuelle du marché, ce n’est pas encore une affaire gagnée. Traiter de grands sujets, militer pour la représentativité de genre, d’origine, ou pour la visibilité LGBTQIA+, ça on sait de mieux en mieux faire.

Mais faire de la culture populaire et avoir une vraie mixité sociale, on en est encore loin. Et nombreux sont celles et ceux qui se bouchent encore le nez à sa simple évocation.

Peut-être que le retour de RTL dans le jeu de la création audiovisuelle changera la donne. Mais seul l’avenir, qui devrait être proche, nous le dira.


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