30 Août 23

Le marketing de Barbie est-il génial ?

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A la fin de la saison dernière, je vous laissais avec une vision presque apocalyptique de Hollywood, qui semble incapable de se renouveler après 20 ans de succès insolents.

Et puis le miracle est arrivé : Barbie.

Succès attendu, certes. Mais pas à un tel niveau.

Et ça n’a pas manqué : le commentariat habituel s’est emparé du phénomène, à grands coups de superlatifs et de comparaisons. Premier film de femme à atteindre un tel résultat au Box Office. Plus gros succès de tel ou tel acteur. Meilleur démarrage depuis des années. Etc, etc.

Mais c’est le commentariat marketing qui s’en est donné à cœur-joie, faisant dans le même mouvement dégueuler le rose bonbon. Et de voir des exploitants de multiplexes poser en costume rose. Ou tous les aspirants marketeurs de la planète se faire photographier enfermés dans une boîte de poupée géante.

Mais tous, spécialisés dans les prédictions à posteriori (je ne déroge pas à la règle), s’accordaient sur un point : la campagne marketing de Barbie relève du génie.

Vraiment ?

Budget hors de proportions

Le cas Barbie est pourtant à mes yeux, et à ceux de quelques autres en dehors du cénacle des marketeurs, un cas problématique. Son succès ne résout en rien le problème fondamental du cinéma hollywoodien.

On pourra aussi parler de la position plus qu’ambigüe de la Warner dans sa stratégie. Je réserve cela pour la semaine prochaine.

Mais revenons-en à la stratégie marketing de Barbie.

Et commençons par l’éléphant dans le couloir : le budget.

Les chiffres annoncés par divers sites professionnels sont de 150 millions de dollars de dépenses marketing. Pour un budget du film estimé à la 100 millions - dont 1/4 pour les deux acteurs principaux.

C’est bien sûr loin des budgets marketing des mastodontes de Disney. Mais cela met tout de même l’enveloppe globale du film à 250 millions. Et donc tout résultat en dessous des 600 millions de box office aurait été un échec.

Bien sûr, les analystes marketing s’empressent de dire qu’avec un tel budget dédié à la promotion, le film ne pouvait être qu’un succès.

Cette assertion est bien sûr fausse.

Le marketing ne peut pas tout

Aussi géniale soit-elle - et je reviendrai sur cette autre assertion - aucune campagne marketing n’assure seule le succès d’un produit.

Pourtant, même les opposants les plus obtus du marketing lui prêtent de tels pouvoirs, l’accusant en permanence d’un lavage de cerveau qu’il est incapable de provoquer.

Le supposé pouvoir du marketing est fortement ancré dans les préjugés occidentaux.

Alors, forcément, quand une campagne semble réussir son coup, les marketeurs s’emparent du phénomène pour démontrer que leur discipline est indispensable. Et qu’elle est bonne quand elle est bien faite - par des vrais professionnels s’entend.

Mais quiconque a un peu grenouillé dans ce milieu sait qu’une stratégie marketing n’est rien d’autre qu’une hypothèse. Pour le cas des blockbusters de ce calibre, toute stratégie repose sur un prérequis : créer un momentum. Pas juste de l’intérêt. Un véritable état d’excitation, qui poussera les spectateurs à aller jusqu’à une salle de cinéma.

Une vieille stratégie

Dans cette optique, la stratégie du film Barbie ne déroge pas à une règle vieille de plus de 25 ans. Les toutes premières images du film ont été diffusées en avril 2022 lors du CinemaCon, un de ces événements entre le show professionnel et la raout geek qui, comme les ComiCon, servent de test de l’intérêt des early adopters envers un objet culturel.

Dans le cas de Barbie, l’engouement a sans aucun doute dépassé les espérances.

Ne reste plus, à partir de là, qu’à dérouler le rouleau-compresseur classique. Il s'agit de produire un contenu promotionnel susceptible de générer de l’User Generated Content, memes, gifs et autres détournements. Et il est vrai qu’à ce niveau, Barbie a tout de la bonne cliente : kitsch assumé, ironie, discours militant inoffensif et références permanentes à la pop culture.

Alors oui, le marketing du film Barbie a réussi son coup. Mais il ne diffère en rien des campagnes qu’on connaît depuis Le Seigneur des Anneaux et le premier Spiderman de Sam Raimi.

Overdose de rose

Mais, me direz-vous, quid de ces énormes stunts ? De cette Barbie géante à Dubaï ? De la myriade de produits brandés Barbie et arborant le rose artificiel de la poupée iconique, du sac à mains Vuitton au hamburger Burger King ? Quid de toutes ces stars s’habillant ostensiblement en rose ?

C’est bien là le problème.

Car cette hype nauséeuse n’a pas grand-chose à voir avec Barbie le film, mais bien avec Barbie la marque.

Ce n’est un secret pour personne. Barbie est un film Mattel qui se trouve être produit par Warner. Il fait partie de cette vague, initiée avec les films Lego, Playmobil ou le récent Mario Bros, qui sont eux-mêmes des licences. Des entreprises de product placement à l’envers, où c’est le film qui est le product placement du produit, et non l’inverse.

Et si le film en lui-même est un énorme succès, c’est surtout pour Mattel que l’opération est la plus fructueuse.

Pour autant, est-ce que vue du point de vue de Mattel, la campagne de marketing de Barbie relève du génie ?

Pas beaucoup plus.

Réhabiliter Barbie

La stratégie de Mattel avec ce film n’a elle non plus rien de nouveau. C’est une stratégie qui date des débuts de l’internet social et que les marketeurs américains ont dénommé le marketing de contenu. L’idéologie du contenu vise à indifférencier toutes les formes de communication, de l’article de blog au blockbuster, du meme au jeu vidéo, comme le contenu global d’un même contenant, le web. Le marketing de contenu se sert de cette indifférenciation pour se servir de toutes les formes de communication et de culture comme d’un levier marketing. Qui peut même faire passer le marketing d’un poste de dépenses à un poste de profits.

Et c’est exactement ce que Mattel a fait avec son film Barbie. Elle a d’emblée considéré le film comme du contenu. La société tente de mettre sur pied ce film depuis 2016, année où elle a décidé de changer l’image de sa poupée iconique. Dès le départ, le but était de déboulonner les clichés patriarcaux qui collent à la marque depuis sa création, et qui ne sont aujourd’hui tout simplement plus supportables.

Dans cette logique, un film a tout simplement l’avantage d’attirer plus l’attention, et de créer un engouement temporaire, un momentum, qu’une campagne de pub classique.

Pris dans les rêts du contenu

Il faut dire que les studios, qui ne font plus de films depuis 10 ans, mais du contenu, avaient déjà largement préparé le terrain. Le Youtubeur Patrick Willems revient sur l’histoire et les implications de cette idéologie du contenu pour le cinéma dans une de ses récentes vidéos.

J’avais déjà parlé il y a plusieurs mois des opportunités que cet aveuglement des grands pontes envers le contenu pouvait offrir. Et nul doute que Greta Gerwig et Noah Baumbach, deux des plus intelligents scénaristes à sévir à Hollywood, ont joué à fond le jeu du détournement de commande, tout en sachant très bien dans quel jeu ils jouaient.

Si ce n’est que dans le monde du contenu, le jeu n’a plus vraiment d’importance. Aussi intelligent, réussi, et rentable que le film soit, il n’est qu’une pièce d’une stratégie au long cours, qui englobe les centaines de partenariats que Mattel a mis en place. A ce titre, le film Barbie n’est pas beaucoup plus important que la Barbie House en taille réelle de Malibu, mise à disposition sur AirBNB, ou les défilés de mode tout en rose.

Certes, le cinéma a une capacité importante à capter l’attention et à créer ce que les américains appellent des “cultural phenomena”. Mais cela fait longtemps qu’il n’est plus le seul. Et le fait qu’il ne serve désormais plus que de véhicule marketing comme c’est le cas avec Barbie devrait, à minima, nous inquiéter.


Tags

marketing digital, production


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