Vous ne le saviez peut-être pas, mais depuis la fin des années ‘70, la plupart des films de Hollywood ne sont pas rentables. Que ce soit Le Retour du Jedi, My Big Fat Greek Wedding, le Seigneur des Anneaux, Batman, et tant d’autres, ces films n’ont jamais atteint l’équilibre financier. Et cela pour une simple raison : la comptabilité hollywoodienne.
Hollywood et l'argent
De tout temps, le cinéma a eu un rapport disons, particulier, avec l’argent. La création même de Hollywood vient du fait que la Californie échappait encore à la législation en vigueur sur la côte Est, permettant aux producteurs de faire des films sans payer les licences appartenant à Thomas Edison, l’inventeur des caméras qu’ils utilisaient.
Néanmoins, avec la comptabilité hollywoodienne, les studios ont sans doute monté la plus grande arnaque financière du siècle, laissant le scandale Enron loin derrière elle.
Derrière tout cela, un principe simple. Chaque film est une entreprise en soi, avec sa propre personnalité juridique. C’est cette entité juridique qui récolte les fonds pour produire le film, et paie les factures.
D'où vient l'argent d'Hollywood ?
Première étage de la fusée, le financement. Contrairement à une idée reçue, les studios ne mettent qu’une petite part du financement en fonds propres. Ils préfinancent leurs films en placements de produits, en ventes de licences de merchandising, via des sociétés de capital-risque, mais surtout par l’optimisation fiscale. Le choix du lieu de tournage dépend ainsi des incitants fiscaux que l’état, qu’il soit américain ou étranger, est prêt à mettre sur la table. Si Ethan Hunt fait de la grimpette sur les gratte-ciel de Dubaï ou James Bond fait un crochet par Prague, ce n’est pas vraiment pour la beauté des paysages.
Second étage de la fusée: histoire de ne pas payer trop cher la participation d’une star, ou les droits d’adaptation d’une licence, les studios négocient un pourcentage sur les recettes nettes du film. Seules quelques énormes stars arrivent à négocier une position de producteur exécutif, et un pourcentage sur les recettes brutes.
Les gens les plus créatifs à Hollywood sont les comptables.
Et c’est là, au troisième étage de la fusée, qu’intervient l’arnaque. La différence entre une recette brute et une recette nette n’a pas l’air de grand-chose sur le papier, mais elle fait pourtant toute la différence. La recette brute, c’est la recette avant la prise en compte des frais. La recette nette intervient elle après recoupement des frais. Si le film, ou en tout cas l’entité juridique qui la représente, est déficitaire, pas de recette nette, donc rien à reverser.
Oui mais, comment des films qui atteignent parfois le milliard de dollars de Box-Office peuvent-ils être déficitaires ? Comptabilité Hollywoodienne ! Puisque le film est une société en soi, rien n’empêche le studio, et ses sociétés annexes, de lui refacturer des frais : marketing, représentation, frais légaux, surfacturation des frais de décor, de location de matériel. Il reste toujours une petite facture dans un coin, qui maintient la balance des recettes dans le rouge, et évite de payer leur dû aux ayants droits qui ont eu le malheur de signer le mauvais contrat. Les exemples pullulent, de l’acteur de Dark Vador à Stan Lee, qui a créé Marvel Studios justement parce qu’il s’était fait arnaquer de la sorte.
Pourquoi répliquer ce système ?
Bon, mais tout ça, c’est Hollywood. Rien à voir avec notre vertueux cinéma européen. Mais justement, est-ce qu’il n’y aurait pas quelque-chose de vertueux à adopter le même système avec nos films ?
Imaginons que nous encapsulions les films dans une structure juridique. Les sources de financement resteraient peu ou prou inchangées : aides des différents guichets du cinéma, Tax Shelter, Soficas en France, pré-achats télé, et minimum garantis des futurs distributeurs des films.
Tous ces éléments ne sont plus seulement une source de financement d’un produit, le film, mais d’une entreprise. Et quand tout est normal, le rôle de l’entreprise est d’engranger du bénéfice, qui peut ensuite être reversé aux investisseurs.
Les embryons sont déjà là.
Vous me direz, tout cela est déjà le cas maintenant : la plupart des financement sont des investissements. Certes, mais pas que. Je pense notamment aux pré-achats, qui concernent autant les télévision que les distributeurs. Pour ces deux acteurs là, par exemple, l’opération pourrait devenir intéressante, puisqu’elles deviendraient intéressées aux recettes de l’ensemble de la chaîne d’exploitation, et plus seulement à la sienne propre.
On pourrait objecter aussi que tout cela est relativement utopique. Mais l’est-ce tant que cela ? Des distributeurs nationaux participent déjà à la production de films. Des exploitants de salles sont aussi des distributeurs, etc. Des producteurs créent des “slates” de films, dans lesquels ils engagent des vendeurs internationaux. Un tel système permettrait juste d’accélérer l’intégration verticale de l’industrie, qui reste à mon sens l’une des voies d’avenir pour que l’industrie garde son indépendance.
Oui, mais reste le noeud du problème. Qu’est-ce qui garantit la transparence de la répartition des recettes entre les parties prenante ? Qu’est ce qui empêchera la réplication de la comptabilité hollywoodienne ?
Le retour de la blockchain
La réponse est peut-être dans l’un des gimmicks de ce podcast : la blockchain.
Avant de continuer, une remarque. Qu’on le veuille ou non, la blockchain, on va en manger. Toutes les grandes banques centrales préparent ou ont déjà mis en circulation une CBDC pour Central Bank Digital Currency. La BCE a officialisé le lancement du projet le 14 juillet 2021. En clair, la CBDC est une cryptomonnaie garantie par une banque centrale. Bien sûr, le mot cryptomonnaie sera banni du vocabulaire. On parlera de e-Euro ou d’Euro électronique. Mais le fait est là, ces monnaies auront pour but de fluidifier, d’automatiser et de sécuriser les transferts de capitaux. Et cela se passera par la blockchain.
Revenons-en au cinéma. La blockchain en elle-même ne préviendra pas toutes les arnaques possibles. La seule chose qu’elle fait, c’est garantir l’exécution automatique, et transparente, des termes d’un contrat. Cela s’appelle, fort justement, un smart contract. Reste qu’il faut encore des humains pour négocier, accepter et signer les termes de ces contrats. Définir quels sont les frais éligibles, comment sont déterminés les recettes de chaque maillon de la chaîne, etc. Il y a évidemment le risque de déplacer le problème du département comptable au département légal.
L'intégration avant la confiance
Et ce n’est pas le seul obstacle à surmonter. Il faudra sans doute créer des structures qui englobent plusieurs films, pour répartir les risques, collationner des sources de recettes hybrides. Et les professionnels argueront sans doute que le véritable problème est la méfiance presque ontologique qu’entretiennent les différents échelons de l’industrie.
Mais, justement, il y a une chose que la philosophie politique a révélé il y a déjà un bon paquet de siècles: ce ne sont les sociétés qui font les institutions, mais les institutions qui font les sociétés. Attendre que les mentalités changent pour modifier le système de fonctionnement de notre industrie est voué à l’échec. Ce qu’il faut, c’est créer les structures qui impliqueront une industrie intégrée.
Dans un moment de bouleversement tel que nous le connaissons, où le modèle du blockbuster ne veut plus être le pilier du système, il est temps d’être inventif. Et solidaire. Ca ne se décrète pas, mais ça se construit.