21 Avr 22

Court métrage : la « carte de visite des cinéastes » est-elle écornée ?

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Cette semaine démarre le BSFF, le Brussels Short Film Festival. L’occasion pour nous de nous pencher sur cet étrange objet cinématographique qu’est le court métrage.

Le court métrage, anachronisme économique

Entamons les choses par ce qui fait le plus mal. Economiquement parlant, le court métrage est un anachronisme. Il y a longtemps, bien longtemps, le court métrage faisait partie intégrante des programmations cinématographiques, comme avant-programme des films. Aujourd’hui, seul Pixar joue encore ce jeu-là, mais clairement dans une optique de différentiation marketing. D’autant que les films Pixar n’atteignent pour le moment tout simplement plus les salles.

Dans les faits, la place du court-métrage en salles est le fait de quelques exploitants Art et Essai militants, et d’un circuit assez dense de festivals spécialisés. Ceux-ci attirent certes un public nombreux, mais composé en grande majorité de professionnels.

A côté de cela, il reste quelques rares cases, confidentielles, sur des chaines de télé, et une offre VOD qui ... existe, et c’est déjà pas mal.

Bref, rares sont les court métrages qui touchent plus qu’un public de professionnels ou de cinéphiles pointus. D’où la réputation actuelle du genre, d’être la carte de visite des jeunes cinéastes.

"L'industrie" du court métrage

Alors, à quoi ressemble l’industrie de la carte de visite ?

Il se trouve que la société de production pour laquelle je travaille vient de terminer son premier court métrage, justement programmé au BSFF (c’est en compétition nationale, dans la programme 6, pour ceux que cela intéresse. Le film s’appelle Ma gueule. Fin de l’autopromo.). Et j’ai donc pu expérimenter au cours de l’année dernière le périple du financement d’un film court.

Si le court métrage est une sorte de passage obligé pour les cinéastes en herbe, elle l’est aussi pour une société de production. En tout cas vis à vis des organes traditionnels de financement. J’en ai parlé dans de précédents podcasts, les organes de financement, les fameux “guichets” sont à peu près les mêmes que pour le long métrage Art et Essai. Juste en beaucoup moins nombreux. Et ce nombre est d’ailleurs en constante diminution en Belgique francophone.

Il y a bien sûr le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie Bruxelles, l’indéfectible système du Tax Shelter, la RTBF et, avec un peu de chance, un apport de la Loterie Nationale. Et c’est tout ! Ah, non , il reste quelques pouvoirs provinciaux qui gardent une petite enveloppe.

La lutte des places

Evidemment, face à ce petit nombre d’interlocuteurs de financement, il y a la file au guichet ! Et donc, mécaniquement, les places sont chères.

Mécaniquement encore, celles et ceux qui peuvent déjà montrer de quoi ils ou elles sont capables, grâce à de précédentes réalisations, ont des arguments supplémentaires à faire valoir. De même, celles et ceux qui ont un scénario formellement abouti. Bien sûr, sortir d’une école de cinéma est un plus, si pas indéniable, du moins fort appréciable pour obtenir la première marche du financement, la sacro-sainte Commission. Rien de scandaleux ou de déshonorant à cela. Cela s’appelle une filière et, dans un sens, c’est bien à cela que servent les écoles de cinéma : créer des auteurs et autrices, qui suivent la voie royale du cinéma d’auteur: école, court métrage puis long.

Sur le papier plus souple, la RTBF est, elle, encore plus assaillie de demandes. Et ne peut évidemment répondre qu’à un nombre limité de demandes de soutiens à la production.

Que l’on soit bien clairs : tout ceci n’est ni une critique d’un quelconque “système”, ou une déploration d’un abandon d’une forme cinématographique. histoire de se dédouaner totalement du côté d’une quelconque acrimonie, je signalerai encore que notre propre film a été excessivement bien soutenu. Tout cela est juste un constat, dont on va maintenant essayer de tirer les conséquences.

Le double écolage

Je le disais plus tôt, le court métrage est aussi une forme d’écolage pour la production. Il faut faire preuve d’inventivité, de fermeté, trouver des systèmes D, essayer des formes de financement alternatifs pour de boucler un budget qui tienne à peu près la route. C’est ici, qu’à mon avis le bât blesse. Ou qu’en tout cas le système atteint son point de contradiction, au sens dialectique du terme.

Je m’explique.

L’intérêt de l’auteur.rice de court métrage est de démontrer son savoir-faire, autant en termes de scénario que de mise-en-scène. Il ou elle aura donc tendance à chercher les effets de mise-en-scène, sortir la machinerie, la steadycam et préparer l’un ou l’autre plan compliqué. Toutes choses qui, évidemment, ont un coût. 

L’intérêt de la production, c’est de garder un budget en phase avec les possibilités de financement d’un côté, et un temps de développement raisonnable de l’autre. Quoi qu’il arrive, le budget alloué sera toujours inférieur à des standards de production classiques.

Bien souvent, la résolution de ce conflit entre intérêts divergents finit par toucher la variable d’ajustement ultime: les salaires. L’une des phrases qu’on entend le plus souvent lors des négociations salariales d’un court métrage c’est: c’est pas trop mal payé, pour un court métrage. Pire, la compression budgétaire peut aussi aboutir à des conditions de travail épuisantes voire dangereuses.

Une dialectique sans synthèse

C’est que cette relation dialectique manque d'une synthèse. Ce qui manque, c’est la médiation économique. Totalement déconnecté des circuit économiques, comme on l’a vu, et, virtuellement, des circuits de diffusion, le court métrage est un objet où la revendication salariale n’a tout simplement pas voix au chapitre. Soit le film se fait dans des conditions spartiates, soit il ne se fait pas. Le tout pour, tout au plus, un succès d’estime.

Et c’est bien ça qui est étrange dans le sort du court métrage. Alors qu’on nous vante à tout va, et à raison, qu’il suffit presque de dégainer un Iphone pour faire un film, et le diffuser sur n’importe quelle plateforme, continue à se perpétuer une sorte d’industrie de la balle à blanc, où l’on fait tout comme les grands, mais sans les enjeux qui sont attachés aux “vrais” films.

Pour l’anecdote, nos voisins de bureau ont créé, avec un budget qui ne suffirait même pas à un court métrage, et des conditions de travail qui n’ont rien à lui envier, une série de 6 x30 minutes pour leur chaîne Youtube.

Alors, oui, ce ne sont pas des auteurs, leur création n’est pas dans les canons de l’industrie du cinéma, mais elle est scénarisée, et plutôt bien, esthétiquement aboutie et, qui plus est, largement diffusée auprès de leur public-cible.

Tout cela ne veut pas dire que le court métrage est une forme du passé. Qu’elle n’a plus lieu d’être. Mais, pour revenir au début de cette chronique, c’est une filière, parmi tant d’autres aujourd’hui. Et peut-être, juste peut-être, sa place dans le monde audiovisuel actuel est-elle un petit peu surévaluée. Elle mérite en tout cas d’être questionnée, ne fût-ce que pour le bien être des travailleurs et travailleuses.


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