Au point où nous en sommes arrivés, les annonces délirantes de Donald Trump sont en passe de devenir, en quatre mois à peine, des marronniers en soi.
Il n’y aurait donc pas lieu de commenter outre mesure le message posté par l’hôte de la Maison Blanche sur son propre réseau social, dans lequel il annonçait vouloir taxer à 100% tout film tourné en dehors des Etats-Unis. Tout le monde a interprété cela comme sa dernière lubie, d’autant plus impraticable qu’on ne parle pas ici de marchandise physique, mais de production intellectuelle. Bien plus difficile à taxer à la frontière, on en sait quelque chose.
Désertification d’Hollywood
Mais quand je dis tout le monde, ce n’est pas vraiment le cas. Car aux Etats-Unis eux-mêmes, l’annonce a été accueillie avec une certaine inquiétude, pour rester dans l’euphémisme. A peine quelques jours plus tard, le magazine Variety révélait que les pontes des grands studios se sont réunis en urgence pour déterminer un plan d’attaque susceptible de faire plier l’irascible président.
Car, comme toujours, les annonces farfelues de Trump peuvent servir, à minima, de thermomètre des crises que traverse son pays.
Et là, depuis cette annonce, c’est toute une réalité qui se révèle au grand jour.
On découvre ainsi que l’Etat de Californie est en pleine panique, voyant son industrie audiovisuelle se déliter, et ses studios emblématiques se vider. Au point qu’elle est en train de faire passer une loi qui portera à 750 millions de dollars les incitants fiscaux qu’elle accorde pour les productions tournées sur son territoire. Soit près du double de ce qu’elle accorde aujourd’hui.
Et c’est vrai que les chiffres ont de quoi alarmer : la Californie compte une baisse de plus de 25% de jours de tournage depuis la période pré-covid. Certes, elle a dû faire face, comme tout le monde, au bouleversement de la pandémie, puis aux plus longues grèves de son histoire. Sauf que, de trimestre en trimestre, le nombre de jours de tournage continue de baisser, sans aucun signe de reprise à l’horizon.
Bon diagnostic, mauvais remède
Avec sa taxe, Trump veut certes s’attaquer à ce qui semble être une partie du problème : les incitants fiscaux et les coûts bien moindres proposés par de nombreux autres pays, les anglo-saxons en tête, que ce soit le Canada voisin, mais aussi l’Angleterre, l’Australie ou la Nouvelle-Zélande.
Mais le concurrence à Hollywood est aussi interne, avec de nombreux Etats proposant des incitants fiscaux, mais surtout des équipes bien moins chères que celles qu’on trouve en Californie.
En clair, cette idée de taxe prend le problème à l’envers. Elle veut faire payer plus cher le consommateur pour des films tournés à l’étranger alors que c’est l’économie du cinéma elle-même qui n’est plus capable de supporter les coûts exorbitants de ses propres productions.
Car, Hollywood, n’en déplaise à ses thuriféraires européens, est une industrie autant shootée aux aides et aux subsides que le cinéma européen. Si elle tourne, monte et produit ses effets spéciaux à l’étranger, elle continue à vendre ses films, pour au moins 50% de son chiffre d’affaire, à un public américain. En d’autres termes, les incitants fiscaux des autres pays profitent plutôt au cinéma américain. Et toute taxation, aussi floue et impraticable soit-elle, affectera d’abord et avant tout le cinéma américain, bien plus que le cinéma d’auteur étranger, vu uniquement par une petite fraction de la population américaine. Pour eux, sauf peut-être pour la France, le marché américain ne représente qu’une infime partie de ses exportations.
Mais alors, d’où vient cette idée saugrenue de tenter, par ces moyens d’un autre temps, de ramener la production de films à Hollywood ? Qui souffle à l’oreille de Trump ?
La nostalgie n’est pas une politique
Des trois proclamés ambassadeurs de Trump à Hollywood, soit Mel Gibson, Sylvester Stallone et Jon Voight, c’est clairement ce dernier qui semble à la barre. C’est cet ancien acteur vaguement star dans les années 70 et 80, aujourd’hui âgé de 86 ans, qui entretient la vision d’un cinéma américain qui doit se concevoir et se tourner à Hollywood, comme au temps béni des studios.
Que cette vision n’ait plus aucune connexion avec la réalité de la production aujourd’hui n’a semble-t-il pour lui aucune espèce d’importance. Que l’inflation des coûts ait explosé en 25 ans ne semble même pas entrer en ligne de compte. Pas plus interrogée, la hiérarchie salariale de plus en plus inégalitaire, qui rend presque impossible la production d’un cinéma plus indépendant.
Hollywood ne reviendra pas à son âge d’or. En tous les cas pas par une taxe. Mais en affrontant ses vrais problèmes. Et ils sont nombreux. Les grèves n’ont pas résolu les problèmes sociaux criants. Quand à la créativité, elle est bridée par des budgets devenus intenables et par le manque de renouvellement des élites dirigeantes.
La vision passéiste, qui est dans la dénomination même du mouvement MAGA ne résoudra rien à l’affaire.