08 Fév 23

Nexus VI. Youtube comme centre d’expérimentation

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La semaine dernière, je parlais de la cinéphilie sur Twitter et Youtube, et comment celle-ci était influencée par un business model vicié. Je terminais cependant l’article par un post-scriptum disant qu’il y avait aussi de nombreuses exceptions à ce constat.

Cette semaine, j’aimerais vous parler de l’une de ces exceptions, la chaîne Youtube Nexus VI. Pourquoi celle-là en particulier ? Parce qu’elle vient de terminer une campagne de crowdfunding pour un épisode de 40 minutes et son making of, qui lui a permis de lever … 451000 euros!

Imaginez cela. C’est une somme dont tous les jeunes webcréateurs, dont nous faisons d’ailleurs partie avec notre coopérative, ne peuvent que rêver. Même avec les financements, assez généreux, mis en place chez nous.

Une chaîne comme une autre

Nexus VI n’est pourtant pas la plus populaire des chaînes Youtube françaises, loin s’en faut. Avec ses 247000 abonnés et ses 20 millions de vues, elle est très loin des poids lourds de la plateforme, comme McFly et Carlito (7.2 millions d’abonnés) ou Squeezie et ses 18 millions d’abonnés et ses près de … 10 milliards de vues.

La chaîne a été lancée en 2014 avec, déjà à l’époque, une volonté d’en remontrer dans l‘esthétique. Un véritable décor, et pas juste un background aux lumières bleues et rouges, avec une affiche ou une guitare dans un coin. Des velléités de scénarisation puis, plus tard, de mise en scène et un embryon de jeu d’acteurs.

Et puis, il y a 4 ans, la chaîne a clairement pris un tournant ambitieux. Les épisodes consacrés aux analyses de films sont devenus de véritables petits films de science-fiction en soi, avec scènes d’action, effets spéciaux numériques, et surtout la participation d’autres figures connues de la scène Youtube.

La recette du succès ?

Alors, comment une chaîne somme toute assez modeste réussit-elle l’exploit de lever un demi-million d’euros ?

Quelques points sont saillants dans le profil de cette chaîne.

  1. Avant-même la chaîne, il y a une société, Fensch Toast, créée en 2011. C’est un détail, peut-être, mais qui a toute son importance. Parce que cela veut dire que la chaîne Nexus VI n’est pas leur source de revenus principale, loin de là. C’est plutôt une plateforme de démonstration de leur savoir-faire technique, de leur capacités de storytelling, de leur maîtrise des outils numériques. Nexus VI est, avant tout, un véhicule marketing. Qu’il soit, si pas rentable, au moins une source de rentrées financières, est un plus, certes non négligeable.
  2. Le public visé est très précis. Nexus VI n’est pas une chaîne cinéma, ou de critique télé, comme beaucoup d’autres. Son sujet, c’est la science-fiction, sous toutes ses formes: livres, BD, jeux vidéo, jeux de plateaux, séries mais aussi, évidemment, films. Cependant, les chroniques de la chaîne ne dévient jamais de leur point de vue SF. Elles ne parlent jamais vraiment de mise en scène, même si l’équipe montre qu’elle maîtrise le sujet dans les parties fictionnelles. La chaîne est là pour servir un public de fans de SF, pas pour se faire plaisir ou se montrer plus intelligente que ses spectateurs. Nexus VI a ainsi réussi à fédérer un public de vrais fans, très ciblés, mais très investis.
  3. Les membres de Fensch Toast sont aussi rentrés dans réseau assez étroit de Youtubeurs. Disons-le, de Youtubeurs bien à gauche de l’échiquier politique. Ils collaborent aux capsules pour Mediapart des deux chroniqueurs politiques Usul et Ostpolitik, sont proches de Benjamin Patinaud, connu sous son nom de Youtubeur Bolchegeek et les featuring dans leurs vidéos représentent la fine fleur de la scène Youtube française.
  4. Le décollage de la chaîne remonte à environ 2018. A cette date, Nexus VI obtient le soutien du CNC, via son initiative CNC talent. Dans le même temps, Fensch Toast lance un premier appel de fonds via KissKissBankBank, qui leur permet de réunir 100.000 euros. Ces deux coups de pouce financiers leur permettent de créer des épisodes plus ambitieux, plus longs, et techniquement plus aboutis. Efforts qui ont conduit, indéniablement, à renforcer le succès de la chaîne.

Le sans-faute

Que retenir de tout cela ? Que Nexus VI a évité tous les écueils que je mentionnais la semaine passée. Ses créateurs ne sont pas rentrés tête baissée dans le mythe de l’auto-entrepreneur. De même, ils ne se fient pas à l’illusion de revenus publicitaires mirobolants reversés par Youtube. Comme tout le monde, bien sûr, ils profitent de la manne disponible, et entrent dans le jeu du sponsoring, avec l’inévitable NordVPN.

Mais leur véritable coeur de cible est leur public de fans, qu’ils cherchent résolument à servir. Et ceux-ci le leur rendent, non seulement via ces campagnes de crowdfunding, mais aussi via leur compte Tipeee, qui leur rapporte en ce moment à peu près 2000 € par mois.

Cette diversification des revenus pour un outil qui, rappelons-le, est aussi un outil de promotion pour l’entreprise Fensch Toast, c’est l’application, à la lettre, d’une stratégie de marketing de contenus. Transformer ce qui est d’habitude un centre de dépenses en centre de revenus. Et, au passage, se faire plaisir.

La temps de mûrir

Bien sûr, cela ne se fait pas, comme on l’a vu, du jour au lendemain. Il aura fallu 4 ans à la chaîne pour tirer ses premières sources de revenus. 4 ans de plus pour arriver à cette levée de fonds saisissante.

Ne sous-estimons pas, non plus, l’importance du réseau dans cette réussite. S’entourer d’autres créateurs, d’une bande de professionnels qu’on aurait pu, par ailleurs, considérer comme des concurrents, permet de partager les expériences, la promotion. Et donc d’aller plus vite.

Enfin, le véritable déclic, le coup de pouce qui a fait la différence, c’est le soutien de CNC Talent. Ce soutien est relativement modeste, de l’ordre de 50.000 €. Mais il a déjà permis à un bon nombre de chaînes françaises de passer le cap de la professionnalisation.

Et chez nous ?

Où en est-on en Belgique francophone, sur ce front ? Nulle part. Des youtubeurs belges existent et sont même relativement populaires. Il y a eu Un Créatif, ou Le Biais Vert, par exemple. Mais tous deux ont dû aller voir en France pour passer le cap de la chaîne amateur. Aucun modèle comme celui du CNC, encore moins de réseau, ou de structure pour de jeunes créateurs.

Au moment où les premiers d’entre eux passent au format film - on pense au Visiteur du Futur, tirée d’une web-série produite par Ankama, ou Cyprien, qui développe un projet chez Gaumont -nous en sommes encore, malheureusement, à nous intéresser aux clips musicaux.

Format qui a certes donné de grands noms du cinéma, Michel Gondry, David Fincher, Spike Jonze, Mike Mills et tant d’autres. Mais c’était une autre génération, qui à l’époque était elle aussi considérée comme une bande de faiseurs sans grands talents, si ce n’est celui de l’esbroufe.

A un moment où nous pleurons le manque de talents autant techniques qu’artistiques pour nos productions, peut-être devrions-nous nous tourner vers là où ils sont, sur le net. Et faire en sorte de les aider à se développer. Chez nous.


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