01 Juin 22

Cannes : la vitrine du cinéma a-t-elle pris la poussière ?

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Voilà le Festival de Cannes est passé, les 3 films belges en compétition font tous trois partie de la moitié des films primés. Les dizaines de producteurs, organes de financement publics, chaines de télévision, et sans doute votre notaire ou l’architecte du coin ne se tiennent plus d’avoir financé, par un biais ou par un autre, l’excellence du cinéma mondial.

Bon allez, trêve de plaisanterie et de persiflage. Parlons du Festival en lui-même, l’auto-proclamée vitrine du cinéma mondial. Et demandons-nous si elle tient encore ses promesses de ce point de vue.

L'étude du CNC

Car ce qu’il y a de bien avec des événements d’une telle ampleur, c’est qu’il s’y télescope toujours des informations qui font sens entre elles.

Ainsi, cette année, le CNC, le Centre du national de la Cinématographie français, a choisi ce moment pour sortir une étude sur la fréquentation des cinémas post-reprise. Et sur les freins identifiés par les spectateurs et surtout les non-spectateurs.

L’étude, simplement appelée “Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ?” a été rendue publique le 23 mai 2022.

Soyons clairs, cette étude est surtout là pour faire taire les alarmistes, en montrant que la situation n’est pas si grave que cela. La fréquentation cinéma connaît des cycles, et l’année 2019 était plutôt dans le haut de la courbe. D’autre part, l’étude montre que ce sont assez logiquement les grandes chaînes de multiplexes qui ont pris le bouillon. Les cinémas indépendants et arts & essai s’en sortent relativement mieux. Mais avec aussi une économie plus fragile!

Deuxième donnée importante, et là, plus inquiétante, le très fort contraste dans le retour en salles suivant l’âge des interviewés. Les retraités sont revenus en masse en 2021. Sans encore atteindre le niveau de 2019 évidemment. Pour tous les autres, la reprise est très faible, imperceptible voire négative !

Les raisons du déclin

Reste à savoir les raisons de cette reprise compliquée. Dans l’ensemble, 5 arguments sont mis en avant :

  • la perte d’habitude
  • le prix du billet, trop cher 
  • une offre inintéressante 
  • la disponibilité de films sur d’autres supports
  • les restrictions sanitaires.

Rien de révolutionnaire à priori : la plupart des gros films ont été reportés, la concurrence du streaming n’est plus à démontrer, les restrictions sanitaires étaient effectivement une vraie plaie mais n’existent plus. E et le prix du billet est une plainte constante et, on le sait à force d’études du prix moyen des places, fondamentalement illégitime. D’autant qu’elle émane principalement des groupes CSP +, les plus aisés donc.

Reste que deux critères sortent du lot à mon avis: la perte de l’habitude d’aller au cinéma, et la question de l’offre.

Un problème d'offre et de promo

Le premier critère est une question de promotion et l’étude montre que la première source d’information des interrogés sur les nouvelles sorties cinémas sont … les bande-annonces en salles! En matière de serpent qui se mord la queue, on ne fait pas mieux.

Le second critère c’est donc l’offre. Et on en revient à notre vitrine.

Que montre Cannes du cinéma mondial actuel ? Alors bien sûr Cannes, c’est une flopée de sections parallèles, une palanquée de films. Mais on parle ici de la perception que le festival donne du cinéma mondial et force est de constater que le gros de l’attention se porte sur la sélection officielle. Et c’est donc à elle qu’on va s’intéresser.

Et rien qu’avec cela, on a de quoi faire. Car la sélection officielle ce n’est pas que la compétition. Ce sont les films hors compétition, les premières, les séances de minuit et les séances spéciales où, parfois, des films arrivent à émerger.

Bien, avant de commencer, les précautions d’usage: je n’ai bien évidemment vu aucun film de la sélection cannoise, et ce qui suit n’est en rien un avis sur les films. Ce n’est pas le but de ces chroniques qui, je le rappellent, se focalisent sur l’industrie en elle-même. Je vais tenter d’en rester à des critères quantitatifs, même si la frontière est évidemment toujours un peu ténue lorsqu’on parle d’art. L’idée, ici, est de dresser le portrait des films présentés à Cannes, esquisser un éventuel public-cible, et éventuellement une vision du cinéma qui s’en dégage.

Allons-y.

La progra de Cannes à la loupe

La première chose à remarquer, et je suis loin d’être le premier à le faire: la parité est très très loin des préoccupations à Cannes. 5 films de la compétition, sur 21 sont réalisés par des femmes. A peine 10 si on compte les 51 films qu’on considère ici.

Prenons un autre critère: combien de réalisateurs et réalisatrices ont une carrière de 20 ans et plus derrière eux ou elles ? Réponse : c’est le cas pour 15 films sur 21 de la compétition, 9 de plus dans les autres sélections de la liste.

Toujours pas mieux si on considère les cinéastes dont c’est la première sélection officielle: 7 sur 21.

Bref, Cannes n’est pas, loin s’en faut, le festival des découvertes. Il est, et il reste, un festival éminemment conservateur.

Pourquoi pas ? Mais intéressons-nous maintenant à un sujet un peu plus difficile à cerner avec précision: à quel public s’adressent les films qui sont programmés ? Parce qu’après tout, on peut être un “vieux” cinéaste, et s’adresser à un public jeune, ou encore être provocateur, innovateur à tout âge.

Je l’ai dit, ici, on rentre dans un terrain beaucoup plus vague. Pour ne pas rentrer dans des considérations esthétiques, on va tenter de s’en tenir au genre des films.

Sur les 51 films considérés, nous avons:

  • Comédies: 6
  • Science-fiction/Horreur : 3
  • Documentaire : 10
  • Thriller : 5
  • Action/aventure : 1. Mais pas n’importe lequel: Top Gun: Maverick
  • Drame social : 21
  • Drame historique : 5

La surreprésentation relative du genre documentaire s’explique en partie par la volonté de rendre compte du conflit en Ukraine.

Evidemment, ici aussi, on pourrait dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Les festivals ont un public plutôt cinéphile, enclin à voir du drame. Mais Cannes est différent. Son public est majoritairement professionnel, et sa programmation vise avant tout le monde extérieur. Une vitrine, on vous dit.

Je vais enfin vous épargner une étude sur les sujets traités par les films en compétition ou hors compétition à Cannes. De nombreux journalistes ont déjà relevé à quel point celle-ci était passéiste, moralisante, peu ouverte sur le monde, voire carrément misanthrope.

Un vieux festival pour "les vieux".

Et si vous avez vraiment besoin de vous convaincre que la programmation de Cannes est une programmation “de vieux”, je vous renvoie vers quelques excellentes analyses de Steven Follows sur le sujet des préférences en termes de genre suivant les âges.

Bref, revenons-en à l’étude du CNC qu’on mentionnait plus haut. Et on sent bien le paradoxe. Le problème que rencontre le cinéma à l’heure où je parle, c’est celui de la promotion, par d’autres moyens que le cinéma en lui même, d’une offre riche, variée, originale et excitante. Force est de constater que ce n’est pas ce que propose Cannes. Et, malgré les efforts des différents juries à donner la Palme à des films qui, toutes qualités esthétiques mises à part, tentent au moins de susciter des réactions ou de la polémique (Parasite, Titane, et même, il faut bien l’avouer, Triangle of Sadness), Cannes ressemble bien à une vieille dame endormie sur ses lauriers, qui joue la sécurité en s’adressant au dernier public assuré des cinémas: les 60 ans et plus.

La semaine prochaine, deuxième partie de ces chroniques sur Cannes, où je vous parlerai, peut-être du rapport du Festival avec les réseaux sociaux.


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