23 Fév 23

L’IA va-t-elle changer le discours critique ?

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L’autre jour, j’écoutais un podcast avec lequel j’ai mes petites habitudes. L’épisode du jour a fini par aborder ce qui est en train de devenir le nouveau Point Godwin du net : l’intelligence artificielle. L’un des intervenants y commentait l’info selon laquelle la tristement célèbre usine à clics BuzzFeed allait désormais utiliser l’intelligence artificielle pour générer une partie de ses contenus.

L’info, en soi, n’a rien d’intéressant, ni même d’étonnant. Qu’un site comme celui-là saute sur l’opportunité offerte par ChatGPT et consorts n’est que dans l’ordre des choses. Mais c’est le commentaire, évidemment, qui est plus intéressant.

La lente dévalorisation de l'info

Ce que soutenait le podcasteur, c’est que l’un des effets de l’introduction massive de l’intelligence artificielle, c’est une nouvelle extension du domaine de l’information comme marchandise de base, à faible valeur ajoutée.

Qu’est-ce qu’il entendait par là ?

A l’arrivée du net, tout un pan de l’information, auparavant chasse gardée et produit d’appel de la presse “papier”, a migré sur le réseau. C’est la météo, les résultats sportifs, les cours de bourse, les petites annonces, les offres d’emploi, les annonces immobilières. C’était l’époque des portails, de Yahoo, Lycos et MSN et toute cette information était maintenant disponible gratuitement. Toujours en tant que produit d’appel, mais cette fois démonétisé. Puis sont arrivés les moteurs de recherche, les réseaux sociaux et d’autres pans de l’information se sont ainsi trouvés démonétisés : l’actualité, les faits divers, l’info people et même le commentaire politique ou sportif.

Splendeur et misère du bâtonnage

Nous voilà à aujourd’hui, et à l’IA. Toute impressionnante qu’elle soit, l’IA générative ne fait en fait qu’une chose : produire, mot à mot, des phrases grammaticalement correctes sur un sujet donné. Elle ne produit, en soi, pas de sens, elle produit des phrases.

Les logiciels d’IA générative, avec son fer de lance ChatGPT font exactement ce que son nom indique, du chat, du babillage, du discours. En termes journalistiques : ils bâtonnent.

Sauf que, justement, le bâtonnage, comme le décrivait Sophie Eustache dans son livre sur le sujet, est devenu l’activité de base de la plupart des travailleurs de la presse, écrite ou web.

En clair, c’est à nouveau tout un pan de l’activité journalistique, mais aussi commerciale, avec ses armées de forçats de la rédaction web, qui se retrouve à produire une marchandise dont la valeur vient de baisser drastiquement.

Le journalisme culturel touché à son tour

Et parmi eux, le journalisme culturel. En tout cas tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Car, mettons les pieds dans le plat, une grande part de ce qu’on appelle encore la critique cinéma aujourd’hui ressemble tout de même beaucoup à cela : du bâtonnage. Que cela soit sur notre ton timoré bien belge ou dans ces outrances insultantes dont nous habituent nos voisins français sous prétexte de provoquer un rire mauvais, la critique a depuis longtemps perdu ses voix originales. Et il faut bien reconnaître qu’il n’y a plus très loin entre la production d’une IA générative et la critique ou l’édito d’un magazine lambda.

Allons même plus loin. On pourrait estimer que l’arrivée de ces algorithmes qui vomissent du texte à la demande conduisent à terme à la disparition de la plaie du review bombing, cette pratique qui consiste à inonder des sites comme Allociné d’avis factices pour faire remonter la cote de popularité d’un film. Sans cette fois plus aucune garantie qu’un réel être humain se cache derrière les pseudos, ces sites basés sur un User Generated Content qui nourrit la manne publicitaire ont du souci à se faire.

Retrouver la valeur

C’est à cela que voulait justement en venir mon podcasteur du début. Pour lui, ce qui gardera encore de la valeur dans un avenir proche, c’est la voix originale, le produit d’une vraie réflexion, profonde et argumentée, sur un sujet donné.

L’info brute n’a depuis longtemps plus de valeur. Aujourd’hui, l’avis standardisé, tout comme le trolling qui sert souvent d’avis critique, n’en a pour ainsi plus non plus.

Plus que jamais, c’est l’analyse, la pensée créative qui contiendra la valeur.

Mon podcasteur terminait sa réflexion en disant que cet état de fait allait aussi amener un niveau de spécialisation plus élevé des sources de contenus de qualité. Il ne voyait pas un organe de presse généraliste comme nos Le Soir, La Libre Belgique ou Le Vif être les fers de lance de cette nouvelle donne. Justement parce qu’ils sont généralistes. L’époque serait, selon lui, à l’excellence dans un seul domaine, plus à être moyen dans tout.

Si il dit vrai, c’est évidemment une énorme opportunité pour un renouveau de la pensée critique, et pour la cinéphilie en général. Et on a vu récemment à quel point celles-ci en avaient besoin, de renouveau.


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