Pour ce deuxième article sur le marketing du cinéma, on va s'intéresser au coeur du système : la salle.
Les cinémas indépendants vivent une période paradoxale : contrairement aux multiplexes, ils souffrent tout comme les distributeurs indépendants d'une baisse de fréquentation, alors que leur équilibre financier est toujours précaire. Et, ne se basant par définition pas sur un apport continu de blockbusters, leur modèle économique est beaucoup plus contingent.
D'un autre côté, les nouveaux projets fleurissent un peu partout : Quai 10 à Charleroi, Caméo à Namur, Palace et Kinograph à Bruxelles, réouverture du Patria à Nivelles dès l'automne 2019. En quelques années, l'offre d'écrans hors multiplexes s'est sensiblement améliorée, autant dans les grandes villes que dans les plus petites agglomérations.
Pendant ce temps, on a assisté à une véritable explosion de l'offre de divertissements : séries, plateformes VOD, jeux vidéo,...
Dans les faits, à volume de tickets vendus presque constant depuis plus de 30 ans, la concurrence s'est fortement accélérée sur le secteur de l'exploitation.
Et donc, aujourd'hui, gérer et promouvoir un cinéma à la papa n'est juste plus possible.
C'est quoi, aujourd'hui, une salle de cinéma ?
C'est un avis totalement personnel, mais le plus gros défaut de la plupart des salles de cinéma indépendantes, c'est qu'elles se considèrent toujours comme un centre culturel.
Je m'explique. Un centre culturel est ce lieu créé pour "démocratiser" l'accès à la culture, à une époque où cet accès était encore un problème. Et, dès les années 1970, beaucoup de cinémas sont entrés dans cette même logique. Bébel et Delon étaient partout, il fallait trouver une place pour Godard et Akerman.
Evidemment, avec l'arrivée de l'ère des média, et surtout d'internet, le monopole de l'accès aux oeuvres a volé en éclat. Etre cinéphile aujourd'hui, ce n'est plus être un chercheur d'or, c'est être un archiviste.
Sauf que les états d'esprits, eux, n'ont pas beaucoup évolué. Demandez à un programmateur de cinéma indépendant ce qu'est le métier pour lui, et vous avez beaucoup de chances d'entendre une phrase du genre : "donner la possibilité de voir un cinéma de qualité, qui interroge la société contemporaine, et fait avancer l'art cinématographique".
Je caricature peut-être un peu, mais pas tant que ça. Cette vision professorale, éducative de la culture est beaucoup plus ancrée qu'on ne le croit.
Or, aujourd'hui, c'est le spectateur qui a toutes les cartes en mains. Nous ne sommes plus dans un marché de l'offre mais dans un marché de la demande.
Un cinéma n'offre plus une denrée rare. Il propose des produits qui ont des caractéristiques distinctes dans une marché concurrentiel.
Dans ces cas-là qu'est-ce qu'on fait ? On identifie la demande à laquelle on s'adresse. Et ça, c'est le propre des petits commerces de quartier.
De l'avantage d'être un petit commerce
Il n'y a rien de honteux à être un commerce local. C'est même tout le contraire. Un commerçant local cherche, comme tout le monde, à gagner de l'argent. Mais il veut surtout rendre un service à la communauté. Vous croyez qu'un boulanger se lève tous les jours à 4 heures du matin parce que ça lui rapporte le pactole ? Qu'un coiffeur travaille pour l'amour de l'art capillaire ?
Ce que je veux dire par là, c'est que tenir un cinéma en ce début de XXIe siècle demande le même changement de mentalité. Un cinéma sert une communauté, restreinte et locale. Son obligation, comme pour tous les commerces, est de comprendre cette communauté, de la cibler et d'engager la conversation avec elle.
La bonne nouvelle, c'est que tous les outils sont à disposition. Ils sont gratuits ou vraiment bon marché, et d'une efficacité redoutable pour qui les utilise à bon escient.
J'y reviendrai plus tard.
Retirons un peu de pouvoir au programmateur
Pour le moment, concentrons-nous encore un peu sur le métier de programmateur.
Jusqu'ici, j'ai dit un peu de mal des programmateurs de cinémas. Mais ce sont des maillons essentiels de l'économie cinématographique.
Les bons programmateurs ont une compétence quasi-irremplaçable : ils connaissent leurs spectateurs. Mais, cette connaissance, ils ne l'exploitent pas à leur plein potentiel.
Là encore, je vais devoir m'expliquer avant de me mettre une profession à dos :-).
Le lundi matin est toujours un moment tendu dans le petit monde du cinéma. C'est là que les distributeurs contactent les exploitants pour connaître le nombre de spectateurs du week-end. Là que se négocie le sort des films à l'affiche. Et le sort de ceux qui suivent. La discussion qui s'engage est une opposition entre une vision à court terme et une vision à long terme.
Le distributeur voudra que son film soit programmé le plus longtemps possible, et dans un maximum de salles. L'exploitant jugera si tel ou tel film est pour "son" public. L'exploitant a la main dans le débat, mais il se base surtout sur son intuition et son expérience empirique.
Où est le problème, puisque c'est ce qu'on lui demande ?
D'abord, il est toujours dangereux pour une société, quelle qu'elle soit, de se baser sur la seule expérience d'une personne. Le jour où elle part, c'est une bonne partie de la valeur de l'entreprise qui s'en va avec elle.
Ensuite, le seul critère mesurable qui est pris en compte dans ce genre de cas, c'est le succès commercial du film. On en arrive à une bulle de filtre : si un certain type de film ne fonctionne pas, on ne retente pas l'expérience.
Imaginez maintenant qu'on mette en place des procédés d'écoute active de ses spectateurs. Tenter de savoir pourquoi les gens ne se sont pas déplacé, ce qu'ont pensé ceux qui sont venus, voilà des informations qui intéressent autant l'exploitant que le distributeur.
Impossible ? Trop chronophage ? Pas si tout cela est intégré dans une stratégie.
L'exemple de Fyrisbiografen
Fyrisbiografen est un petit cinéma de deux écrans à Upsalla, une ville de 150.000 habitants dans le sud de la Suède.
Cet exploitant est le parfait exemple de l'intégration d'une stratégie d'écoute - merci à Thibaut Quirynen, le gérant du Kinograph, de m'avoir dirigé vers cet article.
Toute l'équipe, du responsable de la billetterie à la personne en charge de la communication, s'est mise à collecter un maximum de données sur les personnes visitant les lieux ou celles surfant sur son site web et ses pages sur les réseaux sociaux.
Enquêtes sur place, interviews personnelles, rapports Google Analytics, résultats des publicités : tout est étudié pour comprendre au mieux les besoins et les envies de la communauté, et ensuite leur proposer une programmation et des événements qui les intéressent.
Résultat : une augmentation de la fréquentation de 50% sur un an.
Mais surtout, un lieu en constante évolution, qui travaille en permanence à éliminer les frictions qui retiennent les spectateurs de venir jusqu'à eux.
Qu'est-ce qu'il faut en retenir ? Ca tient en un mot : l'ouverture.
Ouvrir les vannes de l'interaction
Je ne vais pas faire l'apologie des réseaux sociaux. Tout le monde ou presque est au moins sur Facebook et Instagram. Mais qui les utilise pour interagir vraiment avec son public ?
Je tombe régulièrement sur des comptes où le taux de réponse aux messages est d'à peine 10%, et où les délais de réponse se comptent en heures.
Bref, des comptes qui ne servent que de vitrine promotionnelle. Ce que confirment à tous les coups le fil d'actualités de ces pages.
Or, avant toute chose, tout canal de communication est un outil d'interaction.
Ils ne doivent pas servir à délivrer des messages, mais à engager des conversations. C'est la priorité des priorités : posez des questions, produisez du contenu engageant et REPONDEZ AUX MESSAGES ! Montrez que vous êtes à l'écoute. C'est le premier pas vers la confiance.
Mais c'est bien beau d'ouvrir des canaux, encore faut-il ouvrir les bons. Des réseaux, il y en a de plus en plus. Certains sont évidents, mais d'autres pourront être moins intuitifs.
Revendiquer son profil Google My Business est le passage obligé pour tout commerce. Google a perdu la bataille des réseaux sociaux, mais il est en train de se rattraper sur la recommandation. Principalement sur la recommandation locale. Maintenant que plus de la moitié du trafic internet se fait sur mobile, posséder et entretenir sa page GMB joue un rôle prépondérant dans sa visibilité et son autorité. Quand je dis entretenir, ça veut dire ne pas la laisser en jachère une fois créée : publiez des photos, complétez-la au maximum, répondez aux avis donnés.
Dans le même ordre d'idées, Facebook et Instagram sont eux aussi des évidences. Mais pourquoi pas Twitter ? Ou Youtube ? Ou un podcast ? Et surtout, que faut-il y publier pour intéresser le public qu'on vise ?
Avant toute chose, n'oubliez pas que ces canaux ne vous appartiennent pas ! Bâtir votre communication uniquement sur eux est une stratégie de court terme qui va vous retrouver très vite perdant.
Ceci étant dit, ce qui détermine surtout le choix des canaux pour la promotion de vos contenus tient en deux questions :
Personnaliser sa communication
Il existe une règle simple en marketing digital : 20 % de votre communication doit être de la promotion pure, 80 % doit parler d'autre chose. C'est dans cet "autre chose" que se joue votre véritable identité. Et donc votre marketing.
Trop souvent, les salles de cinéma se contentent d'être le relais de la promotion du distributeur : ils repostent les bande-annonces, les affiches.
Ca ne veut évidemment pas dire que vous devrez parler de votre chat, ou poster des photos de votre repas de midi. A priori, les gens vous suivent pour avoir des infos sur l'actualité du cinéma, ou pour être tenu au courant des activités culturelles de sa région.
Mais vous devrez publier des contenus qui apportent de la valeur à votre auditoire. Pas à vous, à votre auditoire. Ce qui implique de le connaître. Donc de faire une carte d'empathie.
Mais aussi de tester des choses, et de voir ce qui provoque le plus d'interactions.
Quoi qu'il en soit, il faut personnaliser vos messages. Ca pourra être par des capsules vidéo où le programmateur donnera 3 raisons d'aller voir un film à l'affiche. Ou la captation d'un débat. Ou des réactions du public à la sortie d'une projection en avant première.
Les gens ne communiquent pas avec une salle de cinéma. Ils communiquent avec des personnes
En fonction du format de messages que vous voudrez partager, vous tendrez à privilégier une plateforme plutôt qu'une autre
L'important est de montrer l'humain derrière l'entreprise.
Ce n'est donc pas de la vanité de se mettre en avant. C'est plutôt de l'humilité. C'est une manière de se montrer ouvert à la discussion.
En guise de conclusion
Evidemment, chaque cas est particulier, chaque audience l'est aussi. Mais ce que je veux mettre en avant est ceci : les trois mamelles du marketing digital ne sont pas Google, Facebook et Instagram. Les trois mamelles d'un marketing digital réussi sont : l'écoute, l'authenticité et l'humilité.
Même si cela paraît terriblement naïf, je sais d'expérience que ces trois choses-là peuvent faire des miracles. Comme faire augmenter une audience de 50% sur un an.