C’est le grand sujet du moment, sur les réseaux sociaux des adultes. Le film Le Consentement est en train de défier toutes les tendances grâce à TikTok.
Déplions un peu cette phrase, histoire d’y voir plus clair. Le Consentement est un film de Vanessa Filho basé sur un roman éponyme, où l’une des victimes de l’écrivain Gabriel Matzneff, pédophile patenté et auteur en vue sur la place publique parisienne, décrit l’emprise mentale et sexuelle de l’auteur sur elle.
Le film, après une première semaine honnête mais loin d'être extraordinaire, augmente son score de 50% en deuxième semaine. Et le double encore deux semaines plus tard. Ce qui, pour un film de cinéma, et à fortiori pour un film d’auteur, est excessivement rare.
Succès-surprise
Ce qui enflamme le petit milieu du cinéma (ou plutôt de la presse cinéma), c’est que cette anomalie viendrait tout droit de TikTok, où de jeunes spectatrices filment leurs réactions après la vision du film.
La première chose à retirer de cet événement, c’est que c’est justement une anomalie. Un évènement qui ne sera sans doute pas reproductible.
La leçon de ce phénomène, c’est qu’on a beau se tourner systématiquement vers les chiffres pour trouver des tendances, des publics-cible et faire des prévisions, le “public” est un facteur insondable.
D’ailleurs, si Le Consentement est une anomalie, il est loin d’être le premier film à déjouer les attentes. Rappelons le succès inattendu (surtout des Parisiens) des Bodins en Thaïlande, ou plus loin dans le passé de Bienvenue Chez Les Cht’is ou d’Intouchables. Mais je me souviens également avoir entendu qu’avant sa sortie, Warner ne savait pas trop quoi faire d’un obscur film de science-fiction appelé Matrix.
Avec Le Consentement, on est dans un cas de figure similaire. Littéralement personne, pas même le distributeur, n’a vraiment cru à un tel engouement. Or, dans ce cas-ci, on ne parle ni d’une comédie, ni d’un drame universaliste. Mais d’un film d’auteur au sujet dur, qui tourne autour d’un petit microcosme parisien, celui des milieux littéraires.
L’avènement du #filmtok ?
L’autre grand point de la discussion autour de ce succès-surprise, c’est qu’il semble être issu d’une communauté de TikTokeuses. Et que le film ait été pris dans une spirale de viralité comme le réseau en est coutumier.
Si je ne mets pas en doute la réalité du phénomène, il me semble utile de le remettre à sa juste place, celle de partie émergée d’un iceberg bien plus important.
Evidemment, le nombre impressionnant de mentions du film sur le réseau (plus de 20 millions) laisse penser à une corrélation directe entre la trend sur TikTok et le regain de spectateurs.
Mais si cette supposée corrélation fait de jolis titres facilement cliquables, elle ne révèle en fait pas grand-chose.
TikTok ne crée pas la tendance. Une tendance se crée sur TikTok. Et ce n’est pas qu’une figure de style.
La seule chose que révèle cet épiphénomène, c’est que le film touche les adolescents, et même plutôt les adolescentes. Et le souci, c’est que personne ne l’avait vu venir.
Ou erreur de ciblage marketing ?
Pour le dire plus crûment, cette belle surprise commerciale est avant tout un joli ratage marketing. Ce qui, en soi, n’est pas non plus un fait extraordinaire. On le sait, le marketing n’est rien d’autre qu’une série d’hypothèses.
Et donc, le film a été promu d’une manière “business as usual” avec une focalisation sans doute sur les grandes villes, un battage presse qui vise les CSP+. Sans trop se soucier du fait que l’héroïne est une ado, qui découvre, de la pire des manières, le monde pourri des adultes.
Mais voilà que le film sort à une période de pré-vacances, alors que Hollywood peine à livrer ses blockbusters pour les raisons diverses que l’on sait. Où l’offre pour ados se limite à quelques films d’horreurs et une paire de comédies pour garçons.
Et, contre toute attente, les ados vont le voir. Mais surtout en parlent. A leur manière certes, difficilement regardable et compréhensible pour un vieux con comme moi. Mais ils en parlent. Pas seulement sur TikTok, sans aucun doute. Sur les réseaux privés aussi, et plus prosaïquement, en tête à tête.
Au-delà de la trend TikTok, de l’embrasement si esthétique par réseaux sociaux interposés, ce qui se passe a un nom, vieux comme le cinéma : le bouche-à-oreille.
Le retour du bouche-à-oreille
Historiquement, en tout cas jusqu’il y a peu, le bouche-à-oreille était le principal incitant pour aller voir un film. Que ce soient les études menées par la Fédération Wallonie Bruxelles ou le CNC français. la recommandation par son entourage a très longtemps été le principal facteur de choix d’un film, avec la bande annonce vue en salles. Ce n’est pas très sexy, c’est low-tech, mais cela reste une réalité.
Si ce n’est que, dans l’étude publiée en septembre dernier par le CNC sur les habitudes ciné des français, le pourcentage de l’influence du bouche-à-oreille s’effondre. De 30% de répondants se disant influencés par leurs proches en 2019, il ne sont plus que 20% en 2023. Dans le même temps, internet “en général” comme le dit l’étude passe de 24 à 38%. Ce sont les deux plus grandes variations de l’étude.
Alors évidemment, entre 2019 et 2023, le monde a un peu changé. Et, parmi ces changements, la prédominance de TikTok, certes.
Mais voyons les choses autrement.
Un plaidoyer pour le retour au temps long
Ce qui a aussi énormément changé, au cours des 15 dernières années au cinéma, c’est le turnover des films. Par rapport à l’offre de salles, on le sait, il y a un peu trop de films. Qui doivent être rentables tout de suite, dès le premier week-end, si ils ne veulent pas sauter de la programmation.
Or, le bouche-à-oreille, on le voit même avec Le Consentement, prend un peu de temps à s’installer. Et ce n’est pas vraiment la multiplication d’avant-premières qui permet de l’assurer. C’est le temps long.
Pour parler d’un film, il faut se voir, dans des conditions propices à une conversation sur ses loisirs qui plus est. Ca peut être autour de la machine à café au bureau ou dans des relations familiales.
Toutes choses qui se sont raréfiées au cours des années. Rencontrer un collègue au bureau est devenu un sport en soi. Et les villes deviennent de plus en plus des lieux de passage que de socialisation.
Alors, faut-il s’étonner qu’une partie de cette socialisation, surtout la socialisation adolescente, soit passée sur les smartphones ? Pas vraiment. Et le bouche-à-oreille, si il ne se fait plus autour d’une bière ou d’un café, n’en reste pas moins un bouche-à-oreille. Peut-être amplifié. Sans doute accéléré. Mais un bouche-à-oreille quand même.
Eloge de l’incertitude
Ce que nous apprend vraiment le cas du Consentement, c’est que rien n’est prévisible. Ni avec les résultats du premier jour, ni avec ceux du premier week-end. Et que malgré la pression commerciale, un film a besoin de temps pour s’installer.
Et c’est bien là le défi de l’industrie du cinéma aujourd’hui. Renouer avec la tolérance à l’incertitude.
Faire des choix.
Pour les exploitants, ne pas juste réagir à l’offre. Pour les distributeurs, sans doute réduire leur catalogue, quitte à voir la concurrence se multiplier. Et pour les producteurs, avoir une vision du public au moment-même de l’élaboration du film.
On le sait, on n’augmentera pas le ratio de succès en réduisant le nombre de films. Le cas du Consentement le prouve encore. Il est impossible de prédire un succès.
Mais l’inverse est également vrai. En multipliant le nombre de films, et le turnover dans les salles, on se coupe d’une des principales sources de succès d’un film, la relation interpersonnelle, pour ne se focaliser que sur les purs outils de promotion.
Et, comme les possibilités de seconde chance se sont elles aussi amenuisées avec la presque-disparition du DVD, c’est de plus en plus la double peine pour les films.
Après 20 ans où on a cru que le succès était programmable, et même planifiable sur plusieurs années, peut-être que ce moment de doute dans l’industrie est l’occasion de redonner une chance à l’imprévu. Quels que soient les canaux qu’il utilise pour se manifester.