21 Déc 22

La télévision peut-elle mourir ?

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Dans le monde du cinéma, égocentriques comme nous le sommes, nous aimons nous imaginer régulièrement la mort de notre art. Pour plein de raisons, suivant les époques. Celle à la mode aujourd’hui, c’est l’esthétique et la puissance financière des plateformes. Sauf que jusqu’à présent, le cinéma est toujours là. Il traverse une crise comme il en connaît tous les 30 ans, mais il y survivra sans doute, comme toujours. La vraie question restant de savoir vers quoi il évoluera…

Du côté de la télévision, on fait un peu moins de chichis. Et on pense, tranquillement, à la mort du média télévisuel tel que nous l’avons connu. Beaucoup de patrons de chaînes évoquent avec une certaine sérénité un futur proche où la télévision dite “de papa” n’existera tout simplement plus. Il y a quelques jours, c’est Tim Davie, la patron de la BBC, qui a condamné la radio et la télévision à une échéance d’une dizaine d’années.

Le condamné à mort peut-il s'échapper ?

Il est vrai que le constat est sans appel. Les jeunes quittent en masse les médias traditionnels pour les réseaux sociaux (enfin, les plateformes de découverte de contenus). Le public moyen des télévisions ne cesse de vieillir, s’établissant maintenant pour la BBC autour de 60 ans. Et les plateformes comme TikTok s’imposent de plus en plus comme source d’informations.

Financièrement, les choses ne sont pas plus glorieuses : les recettes publicitaires sont sans cesse plus rabotées, au profit de formats moins chers, plus créatifs et susceptibles de toucher un public plus jeune. Et les politiques s’en mêlent qui, comme en France, éliminent les redevances audiovisuelles au profit de financements publics directs, au rabais.

Enfin, pour rajouter un dernier clou au cercueil, rappelons, comme je l’avais déjà signalé il n’y a pas si longtemps, que les télévisions n’ont pour le moment aucune idée de la manière de faire passer leur business model au numérique. Le Salto français est en train de très, très mal se réceptionner, quelques grandes chaînes américaines comme CNN ont arrêté les frais quelques semaines à peine après avoir lancé leur offre, AMC la chaîne qui a produit Walking Dead et diffusé Mad Men ou encore Breaking Bad se débat entre la chute de ses recettes publicitaires et la difficulté à faire décoller son offre de streaming.

Au niveau financier, les 10 années qui viennent risquent donc d’être Rock’n’Roll.

Les implications formelles

Mais il n’y a évidemment pas que la finance. La question principale reste posée, comment passer d’une logique de flux à une logique de catalogue ? Sur le net, sur les plateformes, plus de prime-time, de bonne vieille “grand-messe” du Journal Télévisé, d’émissions rassembleuses.

Reste le direct, alors ? Même pas. On l’a vu il y a quelques semaines, les coûts liées aux retransmissions sportives, qui font la grande part du direct, ne cessent d’augmenter, et les plateformes de streaming tentent de s’accaparer le gâteau. La lutte, dans une économie en pleine transformation, est inégale.

De quoi, dans ces conditions, le futur de la télévision peut-il être fait ? Comment le switch du câble au net va-t-il transformer la télé ?

Il y a, en gros, deux pistes complémentaires. La première, c’est la création de propriétés intellectuelles, de séries, de licences et de concepts suffisamment forts pour être vendus à d’autres canaux. En clair, compenser la perte de recettes au niveau national par une internationalisation des contenus.

La seconde, c’est de continuer à faire de la télévision, de manière non plus généraliste, mais de niche. Il suffit de regarder Youtube et Twitch pour remarquer que le talk-show, le jeu télévisé et même la critique cinéma ou littéraire sont encore bien vivants. Mais ils se sont particularisés. Il y a des talks de gens de gauche, de spécialistes du digital, de fans de pop-culture, pour toute sous-catégorie de la population. A bien y regarder, l’une des émissions les plus populaires de France, Touche Pas à Mon Poste ne fait que recycler le modèle des vidéos de réaction qui existent sur Twitch et Youtube depuis de très nombreuses années. Il est fort probable que l’avenir de l’émission audiovisuelle soit plus du côté de Squeezie, Mister Beast et Hugo Décrypte que de Pujadas, Natacha Polony, Léa Salamé ou Sacha Daout.

Il faudra, clairement, de la recherche et développement, ne pas avoir peur de l’hybridation pour passer à cette nouvelle ère télévisuelle.

Quel service public ?

Mais qu’en est-il dans ce cas de l’audiovisuel comme service public ? Où se situera son rôle ? Vers toujours plus de particularisme, s’assurant ainsi que chacun et chacune, selon sa sensibilité, recevra l’information et le divertissement qui lui convient ? Un modèle à l’Anglo-Saxonne si l’on veut. Ou devra-t-elle plutôt jouer la carte rassembleuse, fédératrice ? A charge pour elle d’être en somme la vitrine de la communauté culturelle qu’elle sert.

Ce choix est évidemment politique. Mais il influera sur le positionnement de cette télévision de l’avenir : la structuration autour de propriétés intellectuelles fortes ou la multiplication de contenus de niche.

Ce sont en quelque sorte deux visions de l’avenir de la télévision qui se dessinent. Deux visions qui néanmoins se dessineront dans le sillage des géants du net : un avenir à la Netflix ou Disney+ ou un avenir à la Youtube ou Twitch.

Quel que soit le choix, le défi sera énorme et personne ne peut être assuré qu’il réussira. Une chose est sûre néanmoins, la télévision n’a plus vraiment son destin entre les mains. Il faudra, quoi qu’il arrive, se différencier autant en tant que plateforme à part entière, que sur des plateformes tierces comme Youtube, qui devront nécessairement servir de plateformes d’appel.

Cet avenir semble bien bouché. Pourtant, une chaîne de télévision de “l’ancien monde” est peut-être en train de trouver sa propre solution. Il s’agit d’Arte.

L'exemple d'Arte

Arte commence à être une vieille dame de la télévision. Mais elle réussit une transformation impressionnante, tout entière axée sur l’une de ses niches. Avec le soutien du CNC français, elle a développé un partenariat avec Youtube, pour la création d’un programme “Savoirs et Cultures”. Le programme vise à former de jeunes vulgarisateurs sur Youtube (les édutubeurs), et financer la création de formats natifs. Elle a ainsi par exemple lancé une série de vidéos éducatives, Le Vortex, exclusivement sur Youtube.

Parallèlement, Arte propose ses propres chaînes Youtube, où elle met à disposition tous les documentaires et émissions qu’elle produit. Sa chaîne principale compte à ce jour 2.76 millions d’abonnés et 238 millions de vues. Ce qui ne l’empêche pas d’avoir sa propre plateforme, ARTE.TV, où elle propose en plus des formats achetés, des fictions et des émissions d’actualité.

Clairement, en s’ouvrant ainsi sur une plateforme populaire, Arte remplit sa fonction de service public. Rendre accessible au plus grand nombre ses créations, et soutenir toutes les formes de création audiovisuelle. Elle le fait en s’appuyant sur une marque forte, et sur une volonté de se singulariser dans son offre. Mais en même temps, elle s’hybride en adoptant les formats du net, en faisant de la recherche et développement.

Tout cela n’est évidemment possible que parce qu’ARTE est financé à 95% par des pouvoirs publics. C’est sans doute là l’avenir d’une télévision de service public. Servir ce que les autres ne peuvent ou ne veulent servir tout en structurant une industrie naissante (la fameuse “économie de la création”) pour explorer les nouvelles pistes de création.


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Télévision


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