28 Mai 25

Cinéma Européen : contre-offensive ou déclarations d’intention ?

minutes de lecture 

On aimerait passer à autre chose qu’aux remous politiques qui entourent la culture en général et notre industrie en particulier. Mais on sent bien que ce qui est en train de se passer est un révélateur assez clair des enjeux commerciaux et géopolitiques qui se cachent derrière cette bataille de l’audiovisuel.

Et, forcément, le Festival de Cannes qui vient de se terminer, lieu de toutes les annonces, des plus futiles aux plus fondamentales, a été le moment de jauger le degré d’engagement des troupes dans la petite forteresse assiégée appelée Cinéma Européen.

Il y a peu, je rappelais à quel point il était maintenant nécessaire d’opter pour une position offensive. Et on sait que beaucoup, en Europe, sont descendus sur la Croisette très remontés par les dernières attaques politiques. Ce qui s’est traduit par une enfilade de déclarations d’intention.

Bien sûr, les artistes eux-mêmes y sont allé de leur envolée lyrique, comme Robert De Niro ou Juliette Binoche. Mais ce qui nous intéressait, c’était la réaction de l’industrie elle-même. Et on n’a pas été déçus. Le magazine professionnel Screen International recensait ainsi dans un article en fin de festival l’ensemble des prises de position, cartes blanches et appels qui ont émaillé la quinzaine cannoise.

Déclarations en pagaille

Entre nos frères Dardenne qui lançaient un vibrant hommage à l’exception culturelle et aux aides publiques, et la députée européenne Emma Rafowicz, sur tout les fronts à Cannes, qui appelait à contrer le nationalisme culturel américain, le ton était plutôt martial.

Et puis il y a eu, notamment dans le Soir, cette carte blanche de 22 ministres de la Culture Européenne (dont l’Italie, mais pas la Hongrie, dont on apprend au passage qu’elle consacre tout de même 4% de son budget national à la Culture, record européen), qui appelait à mieux promouvoir la coproduction européenne et la circulation des oeuvres. Quand à la Ministre Française, Rachida Dati, venue présenter l’avancée du plan France 2030, elle a carrément tancé la nouvelle génération de professionnels pour leur manque d’implication dans le lobbying pour défendre l’exception culturelle.

Du côté des organisations professionnelles, justement, en plus des différentes attaques sur les réglementations européennes, c’est plutôt la négociation du futur plan Creative Europe qui était au centre des préoccupations, avec le risque de le voir dilué dans un package plus global relatif à la citoyenneté et la démocratie, ce qui menacerait les allocations de budgets et le modèle de la production indépendante qu’il soutient. Ainsi, le SPI, syndicat des producteurs indépendants européens, s’est fendu d’un communiqué demandant, à minima, la défense des réglementations européennes, au nom de la souveraineté culturelle. De même pour les associations de cinéastes.

Alors, mise en ordre de bataille, ou simples déclarations d’intention ?

Tout d’abord, il faut bien sûr prendre au sérieux les attaques qui, comme on l’a vu, sont coordonnées, entre le pouvoir politique américain et ses industries. Mais il ne faut pas non plus négliger la panique qui se cache derrière ces attaques. On l’a vu la fois dernière, la production américaine souffre , d’un point de vue productionnel, mais aussi commercial.

Chute de parts de marché

Ainsi, l’étude annuelle de l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel sur l’année 2024 constate une chute de 6% de parts de marché du cinéma américain en Europe par rapport à 2023, tandis que le cinéma européen, et plus encore local, a vu son box-office augmenter de 19%. Pour ne représenter, certes, qu’un tiers des entrées salles.

Et au niveau mondial, la situation est encore pire. D’après le site The Numbers, la part de marché des films américains dans le monde est passée de près de 90% à 69% en 15 ans à peine.

Tout en sachant que, globalement, le box-office a chuté d’environ 20 à 25% depuis son niveau pré - pandémie, et ne montre aucun signe de redressement. Il y a fort à parier, en extrapolant certains chiffres nationaux, que c’est le cinéma américain qui a encaissé plus que d’autres une bonne partie de cette baisse tendancielle.

Alors certes, on arguera que cette baisse d’influence est due à leur propre politique, beaucoup plus tournée vers les plateformes, secteur dans lequel l’Amérique domine de manière presque hégémonique.

Et donc, cette guerre s’inscrit dans une logique de marché contracté, apparemment de manière durable. Et Hollywood perd du terrain, même si toujours largement dominant.

Cependant, alors que le cinéma Hollywoodien se trouve dans une position de faiblesse sur un marché qui lui est pourtant indispensable, il est étonnant de remarquer que toutes les positions des acteurs européens de l’industrie restent défensives. Bien sûr, au niveau de l’Union Européenne, la négociation est plus délicate, puisque le cinéma n’est que l’un des leviers de la négociation agressive de l’administration Trump.

Mais il est étonnant de remarquer, de la part de l’industrie européenne, que la teneur du discours reste à un respect strict de la libre circulation des oeuvres, à un maintien du status quo. Aucune revendication de protectionnisme, en réponse au protectionnisme mondial qui s’intensifie.

Fin du néolibéralisme

Pourtant, ce n’est plus un secret pour personne, le commerce et la géopolitique internationale sont en train de changer de forme. Et cette forme, c’est de plus en plus clairement celle d’un néomercantilisme - ce même mercantilisme qui nous a jeté dans la Première Guerre Mondiale, soit dit en passant. Une stratégie où les états interviennent fortement, en interne et à l’international, pour donner un avantage compétitif à ses entreprises. C’est ce que font la Chine, le Japon, mais aussi l’Allemagne et désormais les Etats-Unis.

Et la brutalité avec laquelle ces derniers le font n’est qu’une réaction au retard qu’ils ont pris dans l’application de cette doctrine.

Plus rien ne sert alors d’en appeler à un retour au libre-échange et de son exception culturelle chèrement négociée il y a trente ans.

La réalité est que les grandes puissances sont entrées dans un état de guerre commerciale, dont l’ampleur fait même froid dans le dos. Seule l’Europe, et donc nos industriels, y compris culturels, refusent de prendre les armes, économiquement parlant. Notre histoire nationale sait ce qu’il advient de ceux qui veulent rester neutres dans un monde mercantiliste.

Il est donc à mon avis grand temps de changer de discours, ne plus parler de protection, mais d’affirmation. Et surtout, d’agir en conséquence.

Thibaut Dopchie

Tags


Articles qui pourraient vous intéresser

Panique en Amérique

Panique en Amérique

Laissez-moi un petit message

Nom*
Email*
Message
0 of 350
>