octobre 18

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Blockchain et cinéma : où va-t-on ?

La blockchain est partout dans les discussions. Presque chaque jour, un nouveau projet voit le jour, supporté par la blockchain.

Y compris dans le cinéma :

Kevin Smith finance son prochain film par la vente de NFT's.

Space Jam prolonge l'expérience du film par des NFT.

Zero Contact, un film avec Anthony Hopkins verra sa première diffusion sur Vuele, une plateforme sur la blockchain.

Joe Dante vend des NFT de sa marque Trailers from Hell.

BNP Paribas propose des modes d'investissement dans le cinéma via des cryptomonnaies.

$STARS, une cryptomonnaie pour financer les films.

VideoCoin et Theta cherchent à révolutionner le streaming.

Tous ces projets, dont la plupart font ou feront sans doute pschiit, vous rappellent la fin des années '90 et la bulle du web? Ou les années 2000, où les réseaux sociaux promettaient de révolutionner les relations sociales? C'est normal: l'innovation qui arrive a déjà trouvé son petit nom: le web3.

N'oublions cependant pas que derrière chacune de ces bulles, de ces bouffées d'enthousiasme délirants, sont nés les Google, les Amazon, les Facebook, les Netflix qui font aujourd'hui figure d'incontournables, de géants monopolistiques.

Mais cette fois, c'est différent, nous promet-on. La blockchain est dé-cen-tra-li-sée ! Ouverte, démocratique, de pair à pair. Comme devait l'être avant elle le net, puis les échanges sociaux et culturels. On a vu ce qu'il en est devenu de ces promesses. D'ailleurs, quand on y regarde de plus près, nombre de blockchains n'ont de décentralisées que le nom, la taille de leur réseau ne leur permettant pas de sortir d'une centralisation de fait.

Alors, que pouvons-nous retirer de cette innovation, les discours des maximalistes mis à part ? Quelles sont les potentialités pour notre industrie ?

La blockchain, entre délires et promesses.

On ne va pas donner un énième cours sur la blockchain. D'autres s'y prennent beaucoup mieux que moi, et le concept commence à être connu. Contentons-nous de rappeler ceci: la blockchain permet d'enregistrer, de manière sécurisée, tout titre de propriété et toute transaction dans l'univers numérique. Et cela, de manière automatisée et relativement anonyme : ce sont des "portefeuilles", codés, qui effectuent les transactions, pas des personnes en particulier.

Ce sont des systèmes qui permettent de créer une relation de confiance, sans intermédiaire, tout en restant anonymisés. C'est là, et uniquement là, leur aspect révolutionnaire.

Cependant, cette simple modification apporte un flot de potentialités qu'on aurait tort de négliger. L'erreur serait de réduire le phénomène blockchain au seul Bitcoin ou, à la seule finance décentralisée (DeFi), qui occupent la plus grande part du discours médiatique actuel.

Les applications de la technologie blockchain sont innombrables et dépassent largement la transmission de valeur fiduciaire.

En tant qu'objet numérique, un film est potentiellement échangeable sur la blockchain. On a donc tout intérêt à s'intéresser à ce qu'elle peut apporter, avant que de nouveaux géants du net ne se créent, et barrent la route à toute innovation.

D'autant que c'est aussi - et peut-être surtout - en termes de marketing que la technologie blockchain peut apporter de réelles évolutions.

Passons en revue l'état actuel de cet univers en pleine expansion.

L'illusion prometteuse des NFT

Commençons par ce qui excite tout le monde aujourd'hui: les NFT. Pour faire simple, les NFT (Non-Fungible Tokens) sont un certificat de propriété. Ils attestent que leur propriétaire est l'unique titulaire de cette version d'un document numérique, que ce soit un JPEG, un GIF, un PDF, et sans doute, bientôt, un film (la taille des documents attachés à un contrat NFT est pour l'instant limité, même si des moyens de contourner cette restriction existent).

Mais le fait qu'un NFT ait été édité n'empêche pas l'existence de copies. Il certifie juste qu'une version des copies qui circulent est l'originale, et appartient à une personne en particulier.

Bref, éliminons tout de suite ce faux espoir: les NFT ne sont ni un remède contre le "piratage" sur le net, ni un moyen d'assurer la distribution sécurisée d'une œuvre.

Il sont juste un moyen de rendre un objet numérique unique, et donc rare.

Les collectionneurs à l'affût

Forcément, le premier usage de cette fonctionnalité a sauté aux yeux des spéculateurs: la collection. Le marché de l'art, les cartes à collectionner, les signes d'appartenance à un groupe restreint (CryptoDads, Bored Apes Yacht Club), bref, tout ce qui permet de créer de la distinction sociale, se vend à des prix qui dépassent parfois l'entendement.

Forcément, cela peut s'appliquer aussi au cinéma, et à son pouvoir fantasmatique. On pourrait imaginer vendre à la pièce, à la découpe, tous les éléments d'un film mythique, de son affiche à ses scènes emblématiques, à la manière de NBA Top Shots. Ou éditer des versions digitales collector "numérotées", comme on le fait avec les DVD/Blu-Ray.

Cependant, les NFT ont aussi des potentialités qui dépassent ce seul usage anecdotique, et les coups de pub qui en découlent. Car le sentiment d'appartenance qui est lié au NFT est aussi ce qui fonde les communautés. Dont, potentiellement, celle des cinéphiles.

Le POAP, ou le NFT du monde réel.

Posséder un NFT peut devenir une sorte de code d'accès à une communauté, ou un outil de preuve. Comme un ticket, unique et infalsifiable, pour entrer dans un groupe.

Et c'est peut-être là, aujourd'hui, que les NFT peuvent être les plus intéressants pour notre industrie. Il existe un protocole particulier, appelé POAP, pour Proof Of Attendance Protocol, qui permet de certifier qu'une personne était à un endroit précis à un moment précis. En scannant un QR code à l'aide de son portefeuille crypto, le protocole vous crée un badge unique sous forme de NFT, qui atteste votre présence à l'événement.

En rattachant ces badges à l'un de vos canaux de communication - pour l'instant Discord, Twitter et Télégram proposent ce genre d'intégration - on pourrait installer une relation directe avec ses fans les plus assidus. On peut penser à les "récompenser" avec du matériel exclusif, des invitations aux futures avant-premières, des réductions, etc. On peut les motiver au bouche-à-oreille (numérique).

Bref, le POAP est un moyen de (re)trouver un contact direct avec ses fans les plus assidus, créer des communautés, segmenter ses audiences, que l'on soit une salle de cinéma ou un distributeur. Le tout avec un "simple" QR code.

Le smart contract, le chaînon manquant entre la salle et le distributeur ?

L'autre grande promesse de la blockchain, c'est le smart contract. Comme son nom le laisse penser, le smart contract est un contrat automatisé, un morceau de code inscrit sur la blockchain (et donc infalsifiable) qui exécute ses instructions dès que les conditions sont rencontrées.

La première application - pour autant que toute la chaine joue le jeu de la transparence et de la numérisation des données comptables, ce qui n'est pas gagné - serait l'automatisation des remontées de droits, depuis la salle de cinéma jusqu'aux producteurs et aux auteurs.

Cette possibilité de réduire à presque néant toute la chaîne du "reporting", à coût réduit, ouvre par la bande une autre opportunité : celle d'enfin permettre de relier la "boucle locale", la billeterie des cinémas, au reste de la chaîne. Rappeler à quel point c'est un enjeu majeur pour toute l'industrie n'est jamais inutile.

Le faire de manière sécurisée, anonyme autant pour les spectateurs que pour les salles qui ne désirent pas révéler publiquement leurs chiffres, le tout à des coûts réduits, serait une réelle avancée.

Connaître par ce biais les résultats de ses investissements marketing, savoir quelle campagne en ligne a abouti à des ventes effectives de tickets, analyser sur des bases concrètes leur efficacité, comme toute autre industrie, voilà une promesse excitante.

Cryptomonnaies, Creator Coins et Social Tokens, impliquer le public dans son économie.

Restons-en à ce qui nous intéresse vraiment sur ce blog: le marketing du cinéma.

L'autre grande lacune de l'industrie actuelle, c'est la disparition des communautés cinéphiles. Ou, pour être plus précis, leur dilution dans des micro-univers , ce qui les rend d'autant plus difficiles à atteindre sans des moyens colossaux.

Sur ce blog, on milite depuis ses débuts pour la reconstitution de communautés, sur l'importance du sentiment d'appartenance, sur le partenariat avec les spectateurs. Sur l'importance, aussi, de devenir média.

De ce point de vue, le monde de la crypto propose une option des plus excitantes: la création de sa propre monnaie ! Oui, une sorte de monnaie locale, virtuelle.

Cela semble fou ? Mais la plupart des commerces le font déjà, en fait. Créer une monnaie est simple. Les compagnies d'aviation vous offrent des "miles"? C'est une monnaie privée. Vos chèques-repas ou chèques-restaurant? Monnaie privée. Les cartes de fidélité de votre libraire, de votre supermarché ou de votre sandwicherie préférée? Monnaie.

Nous pouvons tous devenir vrai-monnayeurs.

Réfléchissons-y un tout petit peu plus loin. Qu'est-ce qu'une monnaie, dans le fond? Un système de confiance. J'échange dans une monnaie parce que j'ai une confiance absolue dans le fait que toutes les personnes avec lesquelles je vais interagir vont l'accepter. Dans le cas d'un magasin, par exemple, on donne sans trop de soucis sa confiance dans le fait que celui-ci va tenir son engagement de vous donner une ristourne après un nombre donné d'achats. Plus largement, dans le cas de l'Euro, nous sommes tous entrés joyeusement dans une nouvelle monnaie il y a 20 ans, qui n'existait pas quelques mois plus tôt. En pleine confiance.

Créer une monnaie, c'est donc créer de la confiance. C'est faire communauté. Osons même aller plus loin : sa valeur intrinsèque, économique, est en fait secondaire. C'est sa capacité à créer de l'échange, n'importe quel type d'échange, qui importe.

Notre monde économique nous amène à penser que seule la valeur économique s'échange. Mais on peut échanger du temps, du savoir, des compétences, sans qu'il y ait une valeur économique derrière. Le marché de l'art est ainsi avant tout un marché du statut social.

C'est aussi ce que permet une cryptomonnaie. Sauf qu'elle offre cette chose en plus: donner une valeur économique à ce qui n'en a pas forcément dans le monde réel.

Prenons un exemple concret: le Chilliz. Il s'agit d'une blockchain qui supporte le réseau de fan tokens Socios, destinée aux seuls fans de foot. L'utilisateur achète des Chilliz, qui lui permet d'acquérir des tokens de son équipe de foot favorite. Chaque club participant débloque des possibilités auprès des détenteurs suivant ses propres valeurs. Cela va de goodies à la possibilité de prendre des décisions relatives au club. La communauté grandissant, le club se développant, la valeur de chaque token augmente, et les détenteurs peuvent à tout moment décider de revendre leur token.

La même chose existe dans de nombreux domaines. Il existe même une catégorie particulière de "coins" appelés Creator Coins. Mais on peut aussi aisément imaginer des tokens liés à une salle de cinéma en particulier, à un distributeur qui a pensé sa stratégie de marque ou même un producteur voire un collectif d'auteurs. Le choix d'y inclure un incitant économique reste au choix du créateur de la monnaie, mais ouvre des opportunités nouvelles dans la création d'un lien entre utilisateurs et opérateurs culturels.

C'est à mon avis l'une des opportunités les plus intéressantes offertes par la "révolution crypto" pour le moment.

Le DAO, une coopérative digitale.

Dans le monde des crypto, le DAO, c'est un peu l'étape suivante. C'est la concrétisation d'une communauté soudée autour d'un projet clairement identifié.

Mais c'est quoi un DAO? C'est l'acronyme de Decentralised Autonomous Organisation. C'est une organisation régulée par une série de règles, compilées dans un smart contract, sans chef, sans structure, et totalement décentralisée. Celles-ci n'ont pas encore de réalité juridique, mais les choses évoluent tellement vite dans le monde des cryptos que certains états pensent déjà sérieusement à devenir les terres d'accueil de ce genre de structures.

Finalement, les DAO ne se distinguent pas tellement des coopératives du monde "réel": un apport financier initial donne un droit à entrer dans la structure et d'y apporter ses compétences en vue de développer un projet.

L'avantage, c'est que la distribution des revenus, les règles de participation, les apports de chacun sont automatisés. Et ne nécessite donc pas d'organisme de gouvernance, de gestion financière, d'enregistrement légal etc. Bref, dans le cas d'une coopération transnationale entre distributeurs partageant les mêmes créneaux sur des marchés nationaux différents, comme je l'évoquais dans mon précédent article, l'achat groupé d'un film pour plusieurs territoires, sa gestion financière, la remontée des droits pour chaque pays, etc, tout cela serait géré par le smart contract qui lie les membres du DAO.

La même chose pourrait être imaginée pour un réseau de salles réparties sur tout le territoire européen, voire plus. Ou un réseau de producteurs. Voire, soyons fous, une DAO intégrée de tous les acteurs indépendants du secteur: de l'auteur à l'exploitant, en passant par les festivals.

Le métaverse, un délire de plus en plus réel.

Peu d'autres acteurs culturels n'ont mieux décrit ce que pouvait être un métaverse que le cinéma: Matrix, Ready Player One, eXistenZ,... depuis 25 ans, le cinéma joue avec cette idée.

Et pendant ce temps, c'est le jeu vidéo qui lui a donné une réalité. Ces 15 dernières années, celui-ci s'est peuplé d'univers persistants : Minecraft, World of Warcraft, Animal Crossing, Grand Theft Auto Online, Fortnite.

Ces jeux en sont arrivés à dépasser le cadre de l'amusement pour prendre une nouvelle dimension, où est entré la publicité, les discours politiques (Joe Biden a fait une apparition dans Animal Crossing), les transactions monétaires, et même des concerts au succès fulgurant.

Le metaverse est la nouvelle marotte du patron de Facebook, mais il n'est pas le seul à miser sur ce nouveau Far West. Epic Games, des projets comme Decentraland, The Sandbox, Realm investissent tous le concept de Metaverse, des univers guidés par le jeu, mais qui pourront ensuite accueillir d'autres "territoires" dédiés à la musique et, pourquoi pas, au cinéma. Certains imaginent même que ces lieux virtuels permettront d'y travailler.

Un vrai monde parallèle, où toutes les interactions sociales du monde "réel" seraient possibles, du travail à la culture, et bien sûr au commerce.

L'acceptation des cryptomonnaies, le réel obstacle.

Du plus excitant au plus délirant, tous ces projets sont dépendants d'un facteur incontournable, l'adoption des cryptomonnaies par un grand nombre d'utilisateurs.

Car, évidemment, toutes les transactions sur les réseaux blockchain se font par l'intermédiaire de cryptomonnaies. Qui, au moment d'écrire ces lignes, n'ont aucune reconnaissance légale. Elles sont considérées comme des investissement, au mieux à risque, au pire frauduleux.

Certes, ce marché étant encore très petit comparé au marché boursier "classique", la volatilité des cryptomonnaies est importante sur le court terme. Et la liquidité des actifs crypto n'est pas garantie.

Des solutions intermédiaires existent cependant pour contrer la volatilité, sous la forme de "stable coins", dont le cours est indexé sur des monnaies réelles.

Reste que la question de la confiance est primordiale pour rendre l'usage de ces nouvelles fonctionnalités ne fût-ce que possible. Probablement, la solution passera par les monnaies électroniques que les banques centrales sont toutes en train de développer. Les transactions pourront alors de se dérouler en e-euro, e-dollar, ou quel que soit le nom qu'on leur donne. A moins que le projet Diem de Facebook ne prenne le dessus?

Pour être clair, cette solution serait la trahison des idéaux initiaux des cryptomonnaies. Mais le grand public est-il prêt à se passer des monnaies centralisées? C'est une question qui dépasse le propos de ce blog.

Quoi qu'il en soit, certaines données ne trompent pas: le taux d'adoption des technologies blockchain est pour l'instant tout simplement explosive. Le nombre de portefeuilles actifs est passé de 1 million en 2014, à 6 millions en 2016, 32 millions en 2019, 65 millions en mai 2020, 110 millions en janvier 2021 et... 221 millions en juin 2021. A ce rythme, le pallier du milliard de portefeuille sera atteint dès 2022.

Nombre de portefeuilles crypto 2021

La blockchain n'est donc plus une bulle spéculative. C'est une technologie qui comptera dans l'avenir. Beaucoup de potentialités ne verront sans doute pas le jour (du moins on l'espère pour certaines d'entre elles) et la forme finale des transactions est incertaine.

Mais il est clair qu'une partie de l'avenir de notre industrie se trouvera sur la blockchain.


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