11 Juin 25

Mubi, nouveau roi du cinéma d’auteur ?

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Il y a un peu moins de deux ans, je terminais ma chronique sur la plateforme Mubi par ces mots : “l’entreprise explore une voie qu’il sera passionnant de suivre.”.

Au sortir du dernier Festival de Cannes, cette voie a pris un tournant assez clair. Mubi est arrivée conquérante à Cannes, ajoutant quelques-uns des films les plus courus de cette édition à son catalogue.

Bien sûr, le fait qu’elle soit arrivée les poches bien remplies a été déterminant pour qu’elle remporte quelques guerres d’enchères dont les marchés du film ont le secret.

Mais ce n’est évidemment pas l’unique raison qui a fait de Mubi le “talk of the town” cannois.

Mubi n’est d’ailleurs que le dernier chouchou en date de l’industrie du cinéma d’auteur. Les plus anciens se souviendront de Ciby 2000, la société de production de Martin Bouygues, qui dans les années ‘90 a produit des films emblématiques de David Lynch, Pedro Almodovar ou Emir Kusturica. Avant que Canal +, puis Wild Bunch prennent la relève. De même dans les années 2000, la Miramax des maintenant justement honnis Weinstein, était la reine de la Croisette. Et il y a quelques mois à peine, tout le monde ne jurait que par A24 ou Annapurna.

Le nouveau chouchou

Aujourd’hui, c’est donc le tour de Mubi.

A l’entame du festival, la magazine Variety a consacré sa couverture et un long article à la société et son fondateur, Efe Cakarel. Retraçant par la même occasion le décollage de l’entreprise suite à la crise du Covid. Décollage culminant l’année dernière avec l’acquisition du pourtant très surfait The Substance, qui a excité un petit monde cinéphile n’ayant manifestement rien vu du cinéma bis des années 70 et 80.

Mais Cakarel, pourtant lui aussi issu du milieu de la finance, et tout aussi friand de récits fondateurs que ses alter egos de la Silicon Valley, est pourtant loin du wonderboy gonflé à l’hélium qu’on nous sert maintenant depuis des années. Il se distingue par une humilité, une patience et un amour sincère du cinéma.

Car Mubi n’est pas la petite startup gavée au seed financing qui est venue dépenser ses étrennes à Cannes. C’est une entreprise qui est a été créée il y a 20 ans, qui a risqué plusieurs fois la banqueroute avant de trouver un modèle économique viable, au bout de 10 ans d’existence. Et qui, une fois lancée, a encore mis 5 ans à se déployer, étape par étape.

Il est ainsi bon de le rappeler, avant de s’appeler Mubi et d’être le streameur qu’on connaît aujourd’hui, l’entreprise s’appelait The Auteurs et tenait plus du réseau social pour cinéphiles. Et c’est cette niche qu’elle n’a cessé de creuser, internationalement : un catalogue tourné vers les auteurs et destiné principalement aux cinéphiles relativement pointus, où qu’ils soient dans le monde.

La distinction

Cette distinction par rapport à ses concurrents, qui est sans doute la seule chose à laquelle Mubi se soit accrochée avec acharnement, même dans ses moments les plus difficile, est ce qui fait aujourd’hui son succès. Car si Mubi le désormais distributeur et producteur attire les grands noms, c’est parce que Mubi la marque s’est fait un nom. Elle ne cherche pas à avoir tous les films qui font la hype dans son line-up, mais uniquement ceux dont elle sait qu’elle pourra les promouvoir au mieux.

Cakarel le dit ainsi dans son interview pour Variety : leur sélection est dirigée à l’instinct, et les données que leur fournit la plateforme ne sert qu’à les informer. Pas l’inverse.

Et cela, évidemment, ça n’a pas de prix dans le petit monde du cinéma d’auteur : tous les cinéastes avec un peu d’égo veulent que leur film soit dans les meilleures mains possibles, que leur film soit chouchouté, cajolé, mis en avant comme une pièce de haute couture. C’est comme cela que Mubi fidélise les auteurs et attire les nouveaux venus. Pas seulement avec sa force de frappe.

Justement, quelle est-elle, cette force de frappe ?

Parce que si Mubi n’était qu’une plateforme de films d’auteurs, rien n’en ferait ce qu’elle est aujourd’hui sur le petit marché du cinéma.

Calme ambition

On l’a dit lors de la chronique précédente, Mubi n’a aucun désir de “disrupter” le monde du cinéma, comme ses petits camarades. Elle veut s’insérer dans le circuit du cinéma, rouage par rouage.

Et ces rouages, aujourd’hui, deviennent nombreux : acquisition de The Match Factory, l’un des plus gros vendeurs internationaux indépendants, ouverture de branches de distribution en Angleterre, en Allemagne, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis. Et n’oublions pas l’acquisition de Cinéart, notre plus gros distributeur indépendant au Benelux.

Et puis il y a encore l’édition d’un magazine, d’un podcast, et toujours la réseau social originel, sur lequel les cinéphiles du monde entier partagent leur avis.

Et la prochaine étape est déjà à l’agenda, avec l’acquisition et la construction de salles de cinéma à travers le monde.

On pourrait, à ce stade, s’inquiéter de cette peut-être trop grande diversification, de cette présence à tous les maillons de la chaîne cinéma. Mais il faut bien reconnaitre qu’elle se fait toujours avec la même prudence, la même parcimonie. La même volonté de ne rien renverser, mais de s’insérer, discrètement d’abord, dans les endroits où l’entreprise peut jouer un rôle significatif.

Et cette diversification est peut-être même ce qui peut le mieux la protéger de ce qui a emporté certains de ses prédécesseurs au sommet de l’attention sur les marchés du cinéma, à savoir l’incapacité à s’adapter au changement, voir passer sous son nez le nouveau Lynch, Almodovar, Tarantino, Sofia Coppola ou Ari Aster. En étant présent à tous les échelons de l’industrie, ce risque de perdre son flair est un tant soit peu mitigé.

Reste à voir où mènera la calme ambition de Mubi dans les années à venir.

Thibaut Dopchie

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